CETA : Philip Morris ou la démocratie ?

Regards | 27 novembre 2017

CETA : Philip Morris ou la démocratie ?

Par Clémentine Autain

Le CETA, comme tous les traités de libre-échange nouvelle génération, échappe au débat public et à tout processus démocratique. En jeu : la capacité à mener des politiques publiques soucieuses de protection sociale et environnementale.

Il faut sans doute en passer par l’exemple concret pour que chacune, chacun mesure les conséquences toxiques pour la santé, l’environnement, l’emploi et la démocratie du CETA et ses avatars, promus au nom de politiques ultralibérales.

Si le CETA n’est pas arrêté, pourrons-nous demain mener des politiques progressistes en France ? La question est posée. Des tribunaux d’arbitrage privés seront mis en place avec les traités de libre-échange signés entre les États. La France, via la signature du CETA, ne fera pas exception.

Les mécanismes de règlement des différends entre les investisseurs et l’État (procédure ISDS) protègent en théorie les entreprises d’abus de droit perpétrés par les États où elles s’installent. En cas de litiges à la suite de l’adoption d’une législation contraignante qui rendrait plus difficile le commerce d’une entreprise, celle-ci pourra décider d’attaquer le pays d’accueil.

De telles possibilités laissées aux multinationales sont tout simplement ahurissantes. C’est l’affirmation de la suprématie du droit des affaires sur toute politique publique.

Arme de dissuasion massive

Si de nombreux exemples de recours de multinationales existent aujourd’hui dans le monde, celui de Philip Morris résume à lui seul l’ensemble des dérives d’un système capitaliste poussé à son paroxysme. L’entreprise américaine a attaqué à deux reprises les décisions de deux États, l’Uruguay et l’Australie, qui n’avaient commis pour seul délit que la promulgation de lois visant à protéger leurs citoyens des dangers du tabac.

Certes, l’entreprise, après plusieurs années d’une procédure coûteuse, a été déboutée et condamnée à payer des dommages et intérêts. Cela fait même dire au secrétaire d’État Jean-Baptiste Lemoyne que l’Australie a été confortée dans son choix, ce qui permettrait donc de facto au gouvernement français de sanctuariser toute nouvelle législation dans une situation similaire.

Le secrétaire d’État ne prend cependant pas en compte que certains États, plus fragiles, ne disposent pas des mêmes moyens pour répondre à ces attaques de multinationales. Ainsi, Philip Morris a réussi à faire plier le Togo. En 2010, le pays a voulu instaurer le paquet neutre, avant de recevoir une menace d’assignation de l’entreprise américaine.

Les coûts d’une telle procédure, estimés entre 10 et 30 millions d’euros, ont fait reculer le Togo. Autre exemple, l’Argentine a été attaquée deux fois par des entreprises ! Ce "chilling effect", c’est-à-dire la capacité des entreprises à dissuader les États de légiférer via ces menaces financières, signe une perte d’autonomie des États dans la définition de leur politique.

Un arbitrage partial

Les critiques qui ont accompagné la procédure ISDS ont convaincu les négociateurs du CETA d’apporter des modifications à ce système d’arbitrage privé. Il lui est désormais préféré le système de cour sur l’investissement (ICS), autrement dit un tribunal permanent de quinze juges (cinq Européens, cinq Canadiens et cinq tiers). Mais malgré l’emballage, rien ne change.

Les risques pour les États restent en effet les mêmes. Les citoyens paieront toujours les conséquences financières des amendes colossales infligées, et les États prendront toujours le risque d’être déboutés dans leurs décisions démocratiques par des multinationales. Cette "réforme" ne règle pas non plus les nombreux problèmes de conflits d’intérêts des juges. En cause, leur propension à être à la fois juge et partie dans certaines affaires…

En réalité, les tribunaux d’arbitrage privés restent dans la plupart des cas favorables aux entreprises. Le chercheur Angus van Harten a compilé l’ensemble des verdicts des tribunaux d’arbitrage de ces quarante dernières années. Ses conclusions sont glaçantes : dans un tiers des cas, les entreprises gagnent les affaires et dans un autre tiers, elles négocient des compensations. Quand on sait que 84% des firmes américaines disposent d’une filiale au Canada, les conséquences du CETA pourraient être terribles pour nos protections sociales et environnementales.

Ces tribunaux font courir un immense danger à nos démocraties, menacées de devenir des coquilles vides. Le sort de notre modèle social, économique, environnemental peut-il dépendre du bon vouloir des multinationales ? Le gouvernement devrait mettre en place un référendum pour donner au peuple le pouvoir d’en décider.

source: Regards