Après la saga du Ceta, un nouveau front avec le Japon

Le Soir | 21 mars 2017

Après la saga du Ceta, un nouveau front avec le Japon

par PHILIPPE REGNIER

La poussière de la bagarre autour du Ceta est à peine retombée qu’un nouveau débat pointe le bout du nez – autour, cette fois, du projet d’accord global de libre-échange des biens, services et investissements entre l’Union européenne et le Japon. C’est un « gros morceau » : l’économie japonaise, 4è mondiale, c’est trois fois celle du Canada. Combinées, les économies de l’UE et du Japon représentent plus d’un tiers du PNB de la planète. Ce nouveau deal libre-échangiste est négocié depuis 2013. Dans la discrétion. Sinon l’indifférence. La venue, à Bruxelles ce mardi, du Premier ministre japonais mettra toutefois le projet sous les feux des projecteurs. Le libéral Shinzo Abe est attendu pour un dîner de travail avec les présidents du Conseil européen Donald Tusk et de la Commission Jean-Claude Juncker.

La négociation est censée être entrée dans la toute dernière ligne droite. Et l’Europe veut le faire savoir. Haut et fort : « Nous saisirons cette occasion pour expliquer à la planète entière que nous restons un continent de libre-échange et de commerce organisé suivant des règles », avait lancé Jean-Claude Juncker au sommet européen des 9 et 10 mars. Mais la constellation d’activistes de la société civile qui avait mis le feu au Ceta et au TTIP négocié avec les Américains entend également donner de la voix.

Transparence

Rejoints par des organisations japonaises, ces critiques saisissent l’occasion de la visite de Shinzo Abe pour faire part de leurs préoccupations. Ils dénoncent, à nouveau, le manque de transparence de la négociation : le mandat donné par les Etats membres à la Commission pour négocier en leur nom n’a toujours pas été rendu public, tandis que du côté japonais, c’est le black-out total. Ce sont les gouvernements qui n’ont toujours pas donné le feu vert à la publication de ce mandat. La Commission européenne, nous dit-on de son côté, est pourtant en faveur de cet exercice de transparence.

Et puis, les opposants ressortent leur épouvantail nº1, qui tient d’ailleurs en suspens la ratification du Ceta par les Wallons : les tribunaux spéciaux, taillés sur mesure pour les multinationales. Les contestataires rappellent que la Wallonie ne ratifiera pas l’accord avec le Canada si les juridictions prévues (« ICS, Investment Court System ») pour bétonner les droits des investisseurs privés face aux Etats, ne sont pas revues et améliorées. Or, c’est l’ICS du Ceta qui est négocié par les Européens avec le Japon.

Pire : Tokyo n’a pas encore marqué son accord pour ce mécanisme. L’ICS, avec des juges nommés par les pouvoirs publics et un degré d’appel, protège mieux l’intérêt général que l’ancien système d’arbitrage purement privé – et souvent pipé au bénéfice de multinationales. Or dans le cadre d’un accord euro-japonais sur l’énergie, s’inquiètent les activistes, Tokyo a déjà porté plainte contre l’Espagne à deux reprises devant ces « vieux » systèmes d’arbitrage.

Autre motif de préoccupation : la « coopération réglementaire » entre UE et Japon (en vue d’une harmonisation et d’une reconnaissance mutuelle des normes et des régulations). Les critiques s’inquiètent : les produits chimiques sont massivement échangés entre les deux parties et la coopération réglementaire risque d’impliquer davantage des techniciens du commerce que des experts en santé publique ou en environnement…

La dernière session de cette difficile négociation s’est déroulée en décembre à Tokyo, sans pouvoir réaliser de percée. Elle suivait le dernier « round » de pourparlers, tenu à Bruxelles en septembre, lorsqu’il était déjà apparu que la « deadline » de la fin de l’année n’était pas tenable (une conclusion pour la fin… 2015 avait également été envisagée). Quatre nouveaux « rounds » sont déjà programmés. Désormais, la cible, officieuse, c’est 2017.

Le 19 février, la commissaire européenne en charge du Commerce assurait, aux côtés du chef de la diplomatie japonaise Fumio Kishida, que « les négociations sont très avancées. S’il n’a pas été possible de conclure pour la fin 2016, comme nous l’espérions, d’énormes progrès ont été enregistrés au cours des derniers mois. Comme souvent dans une négociation, les quelques dossiers pendants sont les plus difficiles à résoudre »,reconnaissait Cecilia Malmström.

source: Le Soir