Ce que révèle la version fuitée de l’accord de libre-échange Europe/Canada

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Le Monde | 16.08.2014

Ce que révèle la version fuitée de l’accord de libre-échange Europe/Canada

Par Maxime Vaudano

La télévision allemande Tagesschau a révélé mercredi 13 août la version finale et pour l’instant confidentielle de CETA, un accord commercial entre l’Union européenne et le Canada scruté de très près par les négociateurs, car il devrait servir de modèle pour le traité transatlantique Europe/Etats-Unis. Parmi les dispositions les plus controversées figure le mécanisme de règlement des différends investisseurs-Etats (ISDS), un tribunal arbitral censé trancher les conflits entre les gouvernements et les entreprises.

Selon les négociateurs, le CETA introduit d’importants progrès par rapport à la précédente génération des accords commerciaux à ISDS (comme l’Alena, signé en 1994 entre les Etats-Unis, le Mexique et le Canada), vivement critiquée pour avoir accordé trop de pouvoir aux multinationales. En réalité, peu de choses changent. Alors que la Commission européenne a mis en pause les négociations sur l’ISDS dans le traité transatlantique pour prendre en compte les propositions du public, elle n’en a pas fait de même pour CETA, qui reste dans la droite lignée de ses positions jusqu’alors.

Transparence :

Si les multinationales raffolent de l’arbitrage, c’est en partie pour sa discrétion. Dans certains cas, il est même impossible d’accéder au verdict du tribunal d’arbitrage, ce qui pose question du point de vue démocratique.

Si le CETA consacre l’ouverture des débats au public et la publication de tous les documents relatifs à l’arbitrage, il autorise à se soustraire à ces obligations si des informations commerciales confidentielles sont en jeu.

Conflits d’intérêt :

Le texte s’aligne sur des standards internationaux communs, mais critiqués, en matière de prévention des conflits d’intérêts dans le choix des arbitres. Si certaines pratiques sont interdites ou déconseillées, une mesure radicale préconisée par les ONG et certains arbitres auto-critiques a été écartée : empêcher tout simplement aux mêmes personnes d’occuper alternativement le rôle d’arbitre ou d’avocat.

Chevaux de Troie :

Un article vise à empêcher une pratique de plus en plus répandue, consistant pour les multinationales à installer une boîte postale dans un pays simplement pour pouvoir attaquer un autre Etat avec lequel est signé un accord commercial à ISDS. L’entreprise devra prouver qu’elle exerce effectivement une activité au Canada ou en Europe pour pouvoir lancer une procédure.

Propriété intellectuelle :

Refusant d’exclure les questions de propriété intellectuelle du champ de l’ISDS, les Européens ont concédé aux Canadiens un rendez-vous trois ans après l’entrée en vigueur du traité pour s’assurer que la capacité des Etats à règlementer n’a pas été contrée par les tribunaux d’arbitrage.

Définition de l’expropriation :

Le flou qui entourait la notion d’« expropriation indirecte » d’une entreprise par un gouvernement faisait partie des faiblesses des traités d’investissement signés par le passé. Une annexe du CETA s’attache à la définir clairement.

Il s’agit d’une mesure qui « prive substantiellement l’investisseur des attributs fondamentaux de propriété sur ses investissements ». Reconnaissant qu’il faudra procéder au cas par cas, le texte recommande de prendre en considération les « effets économiques » et de chercher à savoir si la mesure porte « atteinte aux attentes définies et raisonnables fondées sur l’investissement ».

L’annexe précise aussi que les mesures servant des « objectifs légitimes d’intérêt public, tels que la santé, la sécurité ou l’environnement » ne relèvent pas de l’expropriation, « sauf dans les rares circonstances où l’impact de la mesure [...] apparaît manifestement excessif ».

En cas d’incertitude sur l’interprétation du texte, il est prévu qu’un comité canado-européen publie des avis pour le clarifier, que les arbitres devront respecter.

Maxime Vaudano
Journaliste au Monde.fr

Fuente: Le Monde