L’évaluation des résultats du RDIE

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IISD | 5 octobre 2020

L’évaluation des résultats du RDIE

par Sebastian Puerta & Tim R. Samples

Introduction

Combien les États gagnent ou perdent-ils dans le système de RDIE ? Cette question faussement simpliste attend une réponse plutôt complexe. Récemment publiée dans le American Business Law Journal, notre recherche tente d’établir un point de référence pour évaluer dans quelle proportion les pays « gagnent » (en tant que pays d’origine de demandeurs obtenant gain de cause) et « perdent » (en tant qu’État défendeur frappé par des sentences et des règlements adverses) dans le système de RDIE[1]. Dans le cadre de ce projet, nous évaluons les résultats nets et l’impact proportionnel de l’arbitrage investisseur-État pour un ensemble de vingt pays à forte activité RDIE. Le présent article présente notre méthodologie et trois résultats clés de cette étude.

Les chiffres

Notre étude des résultats du RDIE reconnait que, du point de vue de la souveraineté, les défaites importent généralement plus que les victoires. La nature des « victoires » et des « défaites » dans le RDIE illustre la conception unilatérale du système du droit de l’investissement, qui permet aux investisseurs étrangers de présenter des recours contre les États, mais pas l’inverse. Les États souverains ne peuvent effectivement pas « gagner » dans les affaires de RDIE[2]. En tant que pays d’origine d’un investisseur-demandeur, une sentence de RDIE favorable n’apporte aucun bénéfice direct au gouvernement[3]. En tant que défendeur, les États peuvent perdre de différentes manières dans le RDIE. Même une victoire technique, où le défendeur obtient gain de cause quant au fond, peut entraîner des coûts juridiques importants[4]. D’un autre côté, une « défaite » RDIE, c’est-à-dire une décision ou un règlement négatif, a des conséquences financières considérables pour les États. En outre, puisqu’ils contestent les lois et réglementations d’un pays, les différends relatifs à l’investissement sont souvent une menace aux pouvoirs souverains.

Les données et la méthodologie

Dans le but d’analyser les résultats du RDIE pour certains États spécifiques, nous avons commencé par mettre de côté le Navigateur RDIE de la CNUCED pour créer un nouvel ensemble de données[5]. Nous avons ensuite complété ces données avec des données existantes, recueillies par Rachel Wellhausen, qui incluent toutes les affaires connues de RDIE entre 1987 et 2015[6]. Les résultats, que nous appelons notre ensemble principal de données pour ce projet, contiennent 983 affaires, représentant toute l’activité RDIE connue jusqu’à la fin de 2017.

Nous avons ensuite choisi vingt pays avec une forte activité RDIE[7]. Dans l’ensemble, ces vingt pays sélectionnés représentaient environ la moitié de toute l’activité RDIE entre 1987 et 2017. La sélection était équilibrée en terme de volume d’affaires, incluant 447 affaires où l’État est défendeur, et 471 affaires impliquant le pays d’origine. Nous avons développé pour chaque pays de notre sélection un ensemble de données spécifiques pour évaluer les résultats nets du RDIE pour ces pays. Nous avons ensuite comblé les trous en croisant nos informations avec d’autres sources, telles que ITA Law[8], Investment Arbitration Reporter[9], les journaux et les recherches internet.

Analyse

Utilisant les meilleures données disponibles, nous obtenons pour chaque pays de notre sélection les résultats nets du RDIE. Nous incluons dans nos calculs des résultats les sentences, les règlements, et une estimation des coûts juridiques et des frais du tribunal. Nous amalgamons ensuite les résultats pour chaque pays – à la fois en tant que défendeur et en tant que pays d’origine d’investisseurs-demandeurs. Dans notre sélection, cinq pays ont obtenu des résultats nets positifs, et quinze ont obtenu des résultats nets négatifs. Ces données ont ensuite été fusionnées avec d’autres données-pays dans le but de mesurer la proportionnalité des résultats RDIE. Nous avons par exemple comparé les résultats RDIE nets à l’investissement étranger direct, au produit national brut par habitant, et aux dépenses gouvernementales. Les résultats de notre analyse sont présentés en détails ci-après.

Principales conclusions

En montrant le sort de pays choisis dans le système de RDIE, notre recherche confirme certaines observations anecdotiques sur l’arbitrage investisseur-État. Ce projet soulève également de nouvelles questions, et souligne la nécessité de mener d’autres recherches en ce sens. Nous résumons et illustrons ici les principales conclusions sur les résultats du RDIE dans trois domaines clés : la concentration, la proportionnalité et la transparence.

Concentration de résultats

Notre recherche permet de confirmer et de quantifier une réalité simple, mais essentielle du système de RDIE : les résultats, positifs et négatifs, sont fortement concentrés parmi quelques pays participants. En général, les pays défendeurs très actifs n’obtenant pas gain de cause perdent énormément en termes absolus et relatifs. Par ailleurs, les investisseurs obtenant gain de cause et provenant de pays très actifs gagnent beaucoup, mais ces gains sont relativement petits au regard de leur large économie. D’après notre étude, les cinq pays obtenant des résultats RDIE favorables représentent un total de 12,271 millions USD en résultats nets jusqu’en 2017. Tandis que les quinze pays obtenant des pertes RDIE nettes représentent un total de 12,811 millions USD en résultats nets jusqu’en 2017. L’Espagne fait figure d’exception car le pays a été un défendeur très actif, mais aussi le pays d’origine de nombreux investisseurs-demandeurs très actifs. La figure 1 ci-dessous illustre l’étendue de la concentration de résultats RDIE nets cumulés parmi les cinq pays gagnants et les quinze pays perdant dans notre ensemble de données[10].

Figure 1 : résultats RDIE nets cumulatifs

Notes : cette figure montre les résultats nets cumulatifs pour les cinq pays gagnants (en rouge) et les quinze pays perdants (en bleu).

La proportionnalité est importante

Pour faciliter la comparaison, nous examinons les données relatives aux résultats RDIE nets pour nos pays choisis par rapport à certains indicateurs économiques, mettant en lumière la proportionnalité. Par exemple, nous comparons les résultats nets RDIE de chaque pays par rapport aux dépenses publiques, au PIB et aux flux d’IDE. Les résultats de notre analyse de la proportionnalité étaient spectaculaires, comme le montre la figure 2 ci-dessous, qui illustre les résultats RDIE en pourcentage du PIB. En termes d’activité économique, les pays très actifs obtenant des résultats RDIE négatifs perdent à un rythme important. D’un autre côté, pour les pays riches avec des résultats RDIE positifs, les conséquences sont relativement insignifiantes. La figure 2, notamment lorsqu’elle est comparée aux volumes nets cumulatifs relativement équilibrés de la figure 1, souligne les préoccupations liées aux effets proportionnels disparates des résultats RDIE parmi les pays participants.

Figure 2 : résultats RDIE nets cumulatifs en pourcentage du PIB

Notes : cette figure montre les résultats nets cumulatifs par rapport au PIB de 2017 pour les cinq pays gagnants (en rouge) et les quinze pays perdants (en bleu).

Les préoccupations relatives à la transparence

Les problèmes de transparence du RDIE sont largement reconnus. Notre recherche met ces préoccupations en lumière. Dans l’ensemble principal de données pour ce projet, les informations relatives au montant ou au règlement n’étaient pas disponibles dans 199 affaires, sur un total de 983. Les différends en matière d’investissement concernent souvent des questions de grand intérêt public, telles que les réglementations sanitaires ou les réponses réglementaires à une crise financière, par exemple. À tout le moins, les affaires de RDIE impliquent des ressources publiques. Les efforts visant à remédier à ces problèmes de transparence ont donné naissance à des initiatives telles que le Règlement de la CNUDCI sur la transparence et la Convention de Maurice. Nous saluons ces efforts, tout en reconnaissant la persistance de ces déficiences flagrantes en matière de transparence dans le système de RDIE.

Remarques finales / et l’avenir ?

Dans un projet de recherche distinct, actuellement en cours, nous développons un modèle permettant d’estimer, dans le RDIE, l’écart en termes de transparence, qui est en réalité une estimation de la valeur monétaire des affaires pour lesquelles nous ne disposions pas de données. Nous anticipons déjà que le volume probable des résultats des affaires inconnues sera significatif. Compte tenu des intérêts publics en jeu dans bon nombre de différends relatifs à l’investissement, nous croyons qu’il est urgent et impératif d’améliorer la transparence. Une plus grande transparence permettrait de mener d’autres recherches sur le droit international de l’investissement, et de prendre des décisions en connaissance de cause. Si l’on souhaite disposer, demain, de meilleures politiques, il nous faut, aujourd’hui, une plus grande transparence.

Auteurs

Sebastian Puerta est étudiant Beinecke et pré-doctorant chez Opportunity Insights à l’Université d’Harvard. Il détient une licence et un master en économie de l’Université de Géorgie. Tim Samples est Professeur associé en études juridiques au Terry College of Business de l’Université de Géorgie, et d’une charge honorifique à la Faculté de droit de l’Université de Géorgie.

Les auteurs remercient Andrew Teal, étudiant de deuxième année de la Faculté de droit de l’Université de Virginie, pour son excellent travail sur le projet de recherche original.

Notes

[1] Tim R. Samples, Winning and Losing in Investor-State Dispute Settlement, 56 Am. Bus. L.J. 115 (2019).

[2] Alors que le système du droit de l’investissement donne aux investisseur étrangers divers droits de procédure et substantifs, les investisseurs ne sont généralement pas soumis aux mêmes obligations que les pays souverains. Les États cherchent de plus en plus à rééquilibrer cette relation. Voir par ex., Elisabeth Tuerk & Diana Rosert, La conférence de haut-niveau de la CNUCED de 2019 : un nouveau souffle pour la phase 2 de la réforme, Inv. Treaty News (17 décembre 2019), https://cf.iisd.net/itn/fr/2019/12/17/unctads-2019-high-level-iia-conference-a-new-momentum-for-phase-2-reform-elisabeth-tuerk-diana-rosert

[3] Au-delà du règlement des différends, les bénéfices indirects ou externes (par ex. les flux d’investissement et les avantages de la signalisation) de la participation au système de RDIE ont été largement débattus et examinés. Voir par ex., Jeswald W. Salacuse, Of Handcuffs and Signals: Investment Treaties and Capital Flows to Developing Countries, 58 Harv. Int’l L.J. 127 (2017).

[4] Les coûts juridiques du RDIE ne sont pas négligeables. Selon une estimation, les coûts juridiques d’une affaire atteignent en moyenne 7,4 millions USD pour les demandeurs, et 5,18 millions USD pour les défendeurs. En plus de cela, les frais des tribunaux atteignent en moyenne 1 million USD par affaire. Voir Matthew Hodgson & Alastair Campbell, Damages and Costs in Investment Treaty Arbitration Revisited, Global Arb. Rev. (14 décembre 2017), http://www.allenovery.com/SiteCollectionDocuments/14-12-17_Damages_and_costs_in_investment_treaty_arbitration_revisited_.pdf ; voir également Diane Desierto, Rising Legal Costs Claimed by States in Investor-State Arbitrations: The Test of ‘Reasonableness’ in Philip Morris v. Australia, EJIL: Talk! (12 juillet 2017), https://www.ejiltalk.org/rising-legal-costs-claimed-by-states-in-investor-state-arbitrations-the-case-of-philip-morris-v-australia

[5] La CNUCED dispose d’une base de données sur les différends en matière d’investissement dotée de plusieurs fonctions de recherche. Investment Dispute Settlement Navigator, CNUCED, https://investmentpolicy.unctad.org/investment-dispute-settlement [dernière consultation le 27 juillet 2020].

[6] L’ensemble de données sur le RDIE de Rachel Wellhausen, qui inclus toutes les affaires connues jusqu’au 31 décembre 2015, contient des données dont ne dispose pas le Navigateur RDIE de la CNUCED, et est disponible sur http://www.rwellhausen.com/isds-data.html ; voir également Rachel L. Wellhausen, Recent Trends in Investor–State Dispute Settlement, 7 J. Int’l Dispute Settlement 117 (2016).

[7] Nous avons choisi les États avec de nombreuses affaires, soit en tant que pays d’origine, soit en tant que défendeur. Nous avons également choisi certains États qui jouent un rôle clé dans le réajustement des politiques de RDIE, par exemple par le retrait des traités ou les programmes de révision des TBI. Voici notre sélection, par ordre alphabétique : Argentine, Albanie, Bélize, Bolivie, Canada, Égypte, Équateur, Espagne, États-Unis, France, Inde, Kazakhstan, Kirghizistan, Libye, Mexique, Pays-Bas, Pérou, Pologne, Russie et Venezuela.

[8] Voir Inv. Treaty Arb., https://www.italaw.com/ (dernière consultation le 27 juillet 2020).

[9] Voir Inv. Arb. Rep., https://www.iareporter.com/ (dernière consultation le 27 juillet 2020).

[10] La décision dans l’affaire Yukos, d’un montant de 50 milliards USD, est un cas particulier, et créé certainement une distorsion des résultats. C’est pourquoi nous avons décidé de l’exclure de ces calculs.

source: IISD