L’UE pourra conclure certains accords sans l’aval des Parlements nationaux
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Le Figaro | 23 mai 2018

L’UE pourra conclure certains accords sans l’aval des Parlements nationaux

Par Marie Théobald

Il sera à l’avenir possible de scinder les accords commerciaux en deux pour éviter que les traités puissent être stoppés par un seul Parlement national ou régional, comme ce fut le cas dans le passé pour le Ceta.

Les ministres du Commerce de l’Union européenne ont validé, mardi 22 mai, une nouvelle approche dans la conclusion des futurs accords commerciaux de l’Union qui permettra de se passer, selon les cas, de leur ratification par les Parlements nationaux, ce afin d’accélérer les discussions.

À l’avenir, la Commission proposera donc de scinder les accords commerciaux en deux. D’un côté, il y aura les dispositions purement commerciales qui ne nécessiteront que l’approbation du Parlement européen et du Conseil européen pour entrer en vigueur. «La politique commerciale est de compétence communautaire», détaille Jean-Marc Siroën, professeur de Sciences Économiques, Université PSL Paris Dauphine. Il s’agit de règles anti-dumping, de droits de douane, de barrières non tarifaires, etc... De l’autre côté, un accord d’investissement devra être ratifié par tous les Parlements. «Il n’y a pas de compétence communautaire pour l’investissement. Il faut que chaque pays européen ratifie ses accords car ces dispositions sont de compétence nationale», précise le professeur. Les questions d’investissement font partie des plus gros blocages que l’on rencontre lors de la signature d’un accord commercial. Ce peut être les garanties données en cas de modification de la loi afin que les investissements réalisés par les pays étrangers ne soient pas remis en cause, les limites des investissements pour protéger certains secteurs, la juridiction compétente en cas de litige...

Jusqu’à maintenant, les traités de libre-échange les plus récents, dits «mixtes», conclus par l’UE, devaient être ratifiés par les Parlements nationaux après un vote du Parlement européen. Mais la procédure est longue: il a par exemple fallu quatre ans et demi pour que l’accord avec la Corée du Sud soit ratifié. La nouvelle approche permettra aussi à l’Union européenne d’éviter que les traités qu’elle négocie puissent être stoppés par un seul Parlement national ou régional, comme ce fut le cas dans le passé pour l’accord avec le Canada, le Ceta. Opposé à certaines dispositions du Ceta, le seul Parlement de la région belge francophone de Wallonie avait bloqué, fin 2016, sa signature pendant plusieurs jours, engendrant une mini-crise diplomatique avec Ottawa. «Désormais cette approche permettra de mettre en place les accords de façon partielle, ce qui n’est actuellement pas le cas», confirme Jean-Marc Siroën.

En outre, les accords commerciaux font face à une opposition publique grandissante dans toute l’Europe, ce qui rend incertaine leur ratification par l’ensemble des Parlements nationaux et régionaux européens. Cette nouvelle approche pourrait-elle s’apparenter à un déni de démocratie? «Cette mesure n’est pas tellement nouvelle en réalité. C’est le traité de Lisbonne qui a d’ailleurs introduit la ratification par le Parlement européen. En entrant dans l’UE, les pays ont accepté de traiter les questions commerciales au niveau communautaire. À partir du moment où vous avez fait le choix de biens qui circulent entre les pays, vous êtes contraints d’avoir la même politique commerciale. Cette procédure n’est pas choquante. Il n’y a rien de neuf», souligne Jean-Marc Siroën.

Difficulté vis-à-vis des partenaires

«La difficulté maintenant va être pour les partenaires avec qui on va discuter. Ces mesures affaiblissent la position européenne dans ses négociations commerciales. Si d’emblée, nos partenaires savent que l’on ne fera pas de concessions sur l’investissement faute de ratification, il faudra s’attendre à plus de rigidité de leur part sur l’aspect commercial des accords par exemple. En outre, on peut se demander si nos partenaires vont accepter de signer deux traités en prenant le risque qu’une des deux parties ne soit pas ratifiée», s’interroge Jean-Marc Siroën.

La nouvelle approche européenne fait suite à une décision rendue en mai 2017 par la Cour de justice de l’UE (CJUE) qui clarifie les compétences de l’Union et des États membres en matière commerciale. La CJUE avait estimé que la quasi-totalité des thématiques négociées dans le cadre d’un accord de libre-échange était de la compétence exclusive de l’UE, à l’exception de certaines dispositions relatives à l’investissement ou à la propriété intellectuelle.

Néanmoins, chaque État membre devra décider, «au cas par cas, de la scission des accords commerciaux» en fonction de leur contenu, souligne le Conseil de l’UE dans son communiqué. Cet éclatement de l’accord en deux traités n’est donc pas une obligation mais une possibilité.

source: Le Figaro