Un fonds luxembourgeois se voit accorder 53,3 millions EUR pour violation du TJE suite à la réduction du mécanisme espagnol d’aide en faveur de l’énergie renouvelable

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IISD | 30 juillet 2018

Un fonds luxembourgeois se voit accorder 53,3 millions EUR pour violation du TJE suite à la réduction du mécanisme espagnol d’aide en faveur de l’énergie renouvelable

Novenergia II – Energy & Environment (SCA) (Grand Duché du Luxembourg), SICAR c. le Royaume d’Espagne, Affaire CCS n° 063/2015

Dans une procédure lancée par le fonds d’investissement luxembourgeois Novenergia, un tribunal de l’Institut d’arbitrage de la Chambre de commerce de Stockholm (CCS) détermina que les réformes du secteur de l’électricité menées par l’Espagne violaient l’obligation du pays d’accorder un traitement juste et équitable (TJE) à l’investisseur au titre du Traité sur la Charte de l’énergie (TCE). Le tribunal souligna notamment que les actions de l’Espagne « ne s’inscrivent pas dans le cadre des comportements législatifs et réglementaires acceptables et ont complètement transformé et altéré l’environnement juridique et commercial dans lequel l’investissement avait été décidé et réalisé » (para 695). La décision a été rendue le 15 février 2018.

Le contexte et les recours

Suite à l’instauration par l’Espagne d’un mécanisme d’aide aux énergies renouvelables en vertu de la Loi 54/1997 et du Décret royal RD 661/2007, le demandeur investit dans le secteur photovoltaïque de l’Espagne le 13 septembre 2007. Ce régime spécial garantissait aux producteurs d’énergie renouvelable exploitant des centrales photovoltaïques enregistrées auprès du Registre administratif des Unités de production d’électricité (RAIPRE) un tarif de rachat, valable pour toute la durée de vie de la centrale photovoltaïque.

Cependant, en raison de la crise économique et d’un tarif réglementé de l’électricité fixé en-deçà du tarif de rachat garanti, ce mécanisme d’aide s’avéra être un gouffre financier et fut remplacé, en 2013, par un régime moins favorable. Novenergia lança un arbitrage réclamant une indemnisation pour la violation par l’Espagne de ses obligations TJE, notamment son obligation d’accorder un TJE au titre de l’article 10(1) du TCE.
Le tribunal rejette l’objection fondée sur les différends intra-Union européenne

L’Espagne affirmait que le tribunal n’avait pas compétence sur les différends intra-Union européenne. Elle souligna, en premier lieu, que l’article 26 du TCE relatif à l’arbitrage couvre les différends entre « une partie contractante » et « un investisseur d’une autre partie contractante », et argua que puisque l’Espagne et l’Union européenne étaient parties au TCE, la condition de l’article n’était pas satisfaite. Ensuite, s’appuyant sur l’affaire Flaiminio Costa c. ENEL, l’Espagne argua que puisque le différend concernait des relations intra-Union européenne, le droit européen devait prévaloir et se substituer à toute autre source de droit, y compris le TCE. Cependant, le tribunal n’en convint pas et affirma que sa compétence découlait seulement du TCE, et pas du droit européen.

Applicabilité de l’exemption fiscale

L’Espagne argua en outre que le tribunal n’avait pas compétence sur le différend portant sur l’introduction d’une taxe au titre de la Loi 15/2012 puisque le pays n’avait pas spécifiquement consenti à l’arbitrage de ces questions. Le pays affirmait que la taxe était de bonne foi et couverte par l’exemption relative aux mesures fiscales de l’article 21(1) du TCE, et donc que le pays était dispensé de ses obligations au titre de l’article 10(1) du TCE. Le tribunal reconnut que la Loi 15/2012 était une mesure fiscale et rejeta les arguments du demandeur selon lesquels la mesure n’était pas une taxe de bonne foi. Aussi, il n’établit pas sa compétence sur les recours portant sur la taxe.

Violation de la norme TJE au titre de l’article 10(1) du TCE

Novenergia affirma que l’Espagne avait abrogé le régime spécial de manière rétroactive, sapant ainsi les attentes légitimes de l’entreprise découlant des assurances et engagements donnés par l’Espagne. Elle prétendait également que le TCE contient une obligation renforcée de créer et de maintenir des conditions d’investissement stables et transparentes au titre de la première phrase de l’article 10(1), que l’Espagne a violé. Toutefois, le tribunal se rangea du côté de l’Espagne et affirma que l’obligation relative à la stabilité et la transparence n’était qu’une simple illustration de l’obligation de respecter les attentes légitimes des investisseurs par le biais de la norme TJE, plutôt qu’une obligation distincte. Aussi, le tribunal examina cette obligation dans le cadre de la norme TJE, plutôt que comme une norme indépendante.

S’agissant de la violation du TJE elle-même, le tribunal détermina que la conduite de l’Espagne avait donné lieu à des attentes légitimes et raisonnables que le régime spécial tel qu’établi au titre du RD 661/2007 ne connaitrait aucun changement radical ou fondamental. Il estima cependant que les changements promulgués par l’Espagne en 2013 et 2014 mirent un terme au tarif de rachat garanti à long-terme, et ce de manière rétroactive. Il conclut que les législations introduites a posteriori par l’Espagne équivalaient à une violation de ses obligations d’accorder le TJE à l’investisseur au titre de l’article 10(1) du TCE, donnant au demandeur le droit à une indemnisation.

La révocation du régime spécial n’équivaut pas à une expropriation

Novenergia argua que la suppression totale du régime spécial et l’imposition d’une taxe sur les producteurs d’énergie renouvelable équivalaient également à l’expropriation de son investissement, en violation de l’article 13(1) du TCE relatif à l’expropriation.

Le tribunal affirma toutefois que ce recours n’était pas suffisamment motivé. Il estima que les actifs de Novenergia qui aurait pu être expropriés étaient ses propriétés industrielles ainsi que ses parts dans les entreprises impliquées dans l’investissement, directement ou indirectement détenues ou contrôlées. Il considéra que même si la valeur de ces actifs avait été réduite suite aux mesures prises par l’État, les actifs en eux-mêmes n’avaient pas été expropriés ni affectés par les mesures d’une manière équivalente à une expropriation, et que Novenergia demeurait l’entière propriétaire de ses centrales et la détentrice directe ou indirecte des parts et du capital des entreprises. Le tribunal conclut donc que bien qu’elles constituent une violation de la norme TJE, les mesures prises par l’Espagne n’avaient pas affecté les droits de propriété de Novenergia.

Les dommages et les coûts

Le tribunal condamna l’Espagne à payer 53,3 millions EUR en dommages pour violation de l’article 10(1) du TCE, ainsi que 2,6 millions EUR pour couvrir les frais d’arbitrage du demandeur, plus les intérêts composés.
Faits nouveaux post-décision : la décision de l’affaire Achmea est rendue, la clarification demandée est rejetée, l’exécution sursise

Le 6 mars 2018, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu son verdict dans l’affaire République de Slovaquie c. Achmea BV, et détermina que les clauses relatives à l’arbitrage investisseur-État contenues dans les TBI intra-Union européenne sont contraires au droit européen. Cependant, la décision reste floue quant à son application aux recours intra-Union européenne au titre du TCE.

Le 13 mars 2018, l’Espagne adressa au tribunal une demande de rectification, de clarification et de complément de sa décision finale, notamment quant à l’applicabilité et la pertinence du droit européen et sa relation avec les dispositions du TCE. Toutefois, le tribunal détermina qu’il n’était pas habilité à réévaluer les arguments de l’Espagne et rejeta la demande le 9 avril 2018.

Le 16 mai 2018, l’investisseur déposa une requête auprès du tribunal étasunien du District de Columbia demandant une ordonnance et un jugement confirmant, reconnaissant et exécutant la décision. Toutefois, le même jour, à la demande de l’Espagne et compte tenu de la décision de l’affaire Achmea, la Cour d’appel suédoise de Svea sursit l’exécution de la décision.

Remarques : le tribunal était composé de Johan Sidklev (président nommé par la CCS), d’Antonio Crivellaro (nommé par le demandeur) et de Bernardo Sepúlveda Amor (nommé par le défendeur). La décision est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw9715.pdf.

Gladwin Issac est étudiant à l’Université nationale de droit de Gujarat, en Inde.

source: IISD