Partenariat transpacifique: bombe sur la culture

Le Devoir | 6 juin 2016

Partenariat transpacifique: bombe sur la culture

par Claude Vaillancourt

Le chat est sorti du sac : l’Accord de partenariat transpacifique (PTP) aura des effets dommageables sur notre culture, comme le révélait Le Devoir le 26 mai. Les négociateurs canadiens ont donné de grands avantages aux multinationales du Web, ce qui risque d’avoir des conséquences fâcheuses sur notre production et de limiter la diversité culturelle. Les grandes entreprises étrangères pourront accaparer les revenus de publicité locale, répandre leurs produits sans s’engager à soutenir notre production, et cela, tout en payant le moins possible d’impôts et de taxes.

Comment en sommes-nous arrivés là ? Le Canada et le Québec ont pourtant été parmi les grands instigateurs de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de l’UNESCO, signée en 2005. En soutenant cet important projet, le Canada s’engageait à défendre une culture aux mille facettes, à la mettre à l’abri des appétits sans bornes des multinationales du divertissement et d’accords commerciaux négociés à leur avantage.

Avant même la conception de cette convention, le Canada exigeait une exemption culturelle globale dans les accords de libre-échange : la culture ne se retrouvait nulle part dans les ententes. La production artistique n’est pas un objet de commerce comme les autres, parce qu’elle est un fondement indispensable de l’identité collective des peuples. Il est donc nécessaire qu’elle soit retirée dès le départ de tous les accords de libre-échange, avec une exemption ferme mentionnée dans les préambules.

Une boîte de Pandore

De façon paradoxale, c’est après la signature de la convention sur la diversité culturelle que la culture a été intégrée aux négociations commerciales. Pour le Canada, la grande première a été l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne (AECG). La décision d’inclure la culture dans les négociations en déterminant des exemptions chapitre par chapitre a été fortement contestée : n’entrait-on pas justement dans le jeu des négociateurs, en prenant le risque, par exemple, d’oublier des secteurs, d’arriver à des compromis néfastes ou de se faire rouler par un adversaire plus fort ?

Des personnalités comme Louise Beaudoin et Pierre Curzi, tous deux très impliqués dans la bataille pour la protection de la diversité culturelle, mais aussi Abdou Diouf, secrétaire général de la Francophonie et Pascal Rogard, président de la Coalition française pour la diversité culturelle, avaient alors sonné l’alarme. Si certains experts prétendent aujourd’hui que la culture a été relativement bien protégée dans l’AECG, la suite nous montre qu’on a bel et bien ouvert une boîte de Pandore.

Le PTP traite la culture comme une simple marchandise. Les avantages accordés aux grandes entreprises du Web créent une brèche énorme parce que c’est par Internet que circulent de plus en plus les oeuvres artistiques dématérialisées. Les exigences de contenu local, considérées comme « discriminatoires » dans ce secteur, risquent de disparaître à mesure que les moyens de transmission deviendront numériques.

Des arbitres au service de leurs clients

La présence d’un tribunal d’arbitrage dans le PTP pourrait judiciariser certaines décisions prises pour protéger notre culture, ce qui laissera à des arbitres en provenance du secteur privé le soin d’interpréter un accord d’une grande complexité, caractérisé par ses ambiguïtés, comme le dénonce l’économiste Joseph Stiglitz. De plus, le tribunal aura intérêt à trancher en faveur des entreprises puisque ces dernières sont les seules qui peuvent y avoir recours. Pour se donner de nouvelles causes, les arbitres doivent bien servir leurs clients.

Même les secteurs plus traditionnels de la culture sont mal servis par le PTP. Véronique Guèvremont, professeure de droit à l’Université Laval, souligne par exemple qu’il pourra être considéré comme discriminatoire de demander à un distributeur de livres de prendre « des mesures en vue de distribuer des livres d’auteurs québécois ». Autre décision très contestable : les droits d’auteur seront protégés jusqu’à 70 ans après la mort d’un auteur, ce qui rendra difficilement accessibles des ouvrages dont tous devraient pouvoir bénéficier sans contraintes.

La fin des obligations locales

Les dangereux précédents du PTP seront sans doute reconduits dans l’Accord sur le commerce des services (ACS, connu aussi sous le nom de TISA, en anglais). Ce dernier est négocié dans le plus grand secret et ne concerne que les services. Or, la culture en est un. Une fuite de l’accord révélée par WikiLeaks indique que les États-Unis ont l’intention de mettre fin à toutes les obligations locales. Ce qui veut dire, par exemple, les quotas et les exigences de contenu local, essentiels pour la survie de la culture.

Il s’agit là d’une tendance de fond dans les accords commerciaux à laquelle le gouvernement canadien ne s’oppose pas. Bien au contraire, par son soutien actif au libre-échange, il semble approuver un saccage annoncé de la diversité culturelle et ainsi, de notre propre culture.

Alors que les gouvernements canadien et québécois se sont montrés parmi les défenseurs les plus convaincus de la convention sur la diversité culturelle, voilà qu’ils prennent les moyens les plus sûrs pour la torpiller en toute discrétion. Devant de telles contradictions, comment ne pas s’étonner du cynisme de la population devant la classe politique ? Ceux qui craignaient que le caractère non contraignant de cette convention fasse des ravages voient leurs appréhensions confirmées.

Pour cette raison, et pour bien d’autres encore, le Canada doit renoncer non seulement au PTP, mais aussi aux autres accords commerciaux de la nouvelle génération (AECG, ACS). La façon dont la culture est traitée dans ces ententes n’est qu’un exemple du danger qu’ils représentent pour la démocratie et pour notre capacité de choisir le type de développement que nous voulons en matière culturelle, mais aussi dans tous les autres domaines.

source: Le Devoir