Droits numériques & culture

Le mécanisme de règlement des différends investisseur-Etat (ISDS en anglais), présent dans les traités commerciaux et d’investissement, pose des problèmes précis pour les droits numériques et la culture. Des multinationales pourraient en effet contester des lois relatives aux droits d’auteur, aux logiciels libres et à la protection de la vie privée.

Le chapitre du Partenariat transpacifique (TPP en anglais) sur la propriété intellectuelle privilégie les intérêts des compagnies détentrices des droits d’auteur, au détriment du grand public. Le champ d’application des droits d’auteur serait étendu, même en ce qui concerne les utilisations non-commerciales pour la création de nouvelles œuvres. Un tel usage pour de la parodie, remix, fan fiction, critique ou commentaire serait alors interdit. Les grandes multinationales des médias seraient alors en mesure de contrôler ce que le public peut et ne pas partager en ligne, limitant ainsi la liberté d’expression.

Quelqu’un manipulant un fichier ou un appareil contenant des données protégées par copyright, pourrait être tenu responsable de telles actions (pénalement si la volonté d’une utilisation commerciale est prouvée), et même si aucune violation de droits d’auteur n’a été effectuée. Et si un Etat membre du TPP voulait adoucir cette règle au niveau national, il pourrait être ciblé par un recours en arbitrage ISDS.

La réglementation sur les flux de données sur Internet suit la même logique. Les transferts de données personnelles peuvent être utilisées, par exemple, pour le commerce en ligne ou des programmes de surveillance globale. En Europe, l’accord transatlantique « Safe Harbour » permettait aux entreprises états-uniennes de transférer des données personnelles aux Etats-Unis, sans avoir à se conformer aux normes européennes sur la protection de la vie privée. Mais la Cour de justice de l’Union européenne a jugé cet accord invalide en octobre 2015. Il pourrait être remplacé par le « Privacy Shield » (bouclier de confidentialité UE-USA), une proposition de la Commission européenne qui n’offrirait aucune garantie réelle de sécurité, selon des organisations de la société civile.

Le TPP encourage ses membres à promouvoir une compatibilité de ses régimes de protection de la vie privée. Des pays ayant une protection des données personnelles adéquates devraient ainsi considérer des normes plus laxistes d’autres pays comme équivalentes aux leurs, afin de faciliter l’échange de données à travers les frontières. Cette approche s’apparente à celle de l’accord « Safe Harbour ».

Mais si un gouvernement interdisait le transfert de données personnelles vers des pays étrangers, par ailleurs autorisé dans un accord commercial, un investisseur étranger pourrait intenter un recours arbitral de type ISDS.

De plus, le TPP, ainsi que le chapitre fuité de l’Accord sur le commerce des services (TiSA en anglais) sur le commerce en ligne, interdisent les membres de l’accord de faire la demande d’un code source d’un logiciel distribué librement par un fournisseur de services d’un autre membre. La production, le développement et la distribution de logiciels libres et gratuits seraient ainsi sérieusement affaiblis. Cela empêcherait aussi certains pays de s’attaquer à des problèmes liés à la sécurité des logiciels, pour lesquelles un accès au code source est nécessaire.

Avec la multiplication des accords commerciaux de nouvelle génération, toute loi nationale mettant en avant les droits à la vie privée, aux logiciels libres ou à la création artistique pourrait déclencher un recours au mécanisme de l’ISDS. Ces problèmes pourraient devenir de plus en plus commun, du fait de l’utilisation croissante de contenus numériques et d’Internet

(février 2016)