ISDS: une justice parallèle au service des multinationales

24 heures | 11 mai 2023

ISDS: une justice parallèle au service des multinationales

par Jean Christophe Schwaab

Connaissez-vous l’«investor-state dispute settelment» (ISDS), ou résolution des différends entre investisseurs et États? C’est un instrument discret et opaque à la disposition des multinationales et qui pourrait coûter cher aux contribuables helvétiques: on parle de 8 milliards de francs. Pour comprendre, rembobinons.

L’ISDS, généralement contenu dans un accord de libre-échange, permet à une multinationale qui s’estime lésée par la décision d’un État d’obtenir des dommages-intérêts, sans passer par les tribunaux ordinaires. Pour cela, elle saisit un tribunal arbitral (dont elle choisit un des juges), lequel siège à huis clos et dont les décisions ne sont pas sujettes à recours.

Ces arbitres décident si l’entreprise a été «injustement expropriée» ou a vu ses perspectives de profits baisser. Ce ne sont pas des ressortissants du pays concerné et ils n’en appliquent pas le droit; ceux qui les appelleraient «juges étrangers» n’auraient donc pas tort. C’est une sorte de justice parallèle, calquée sur les besoins des grandes entreprises.

À l’origine, l’ISDS était censé pallier la prétendue inefficacité des tribunaux des pays en développement, mais il est désormais utilisé contre tous les pays. Plusieurs États ont été condamnés à verser des sommes colossales parce qu’ils avaient pris des décisions d’intérêt public qui contrariaient des entreprises privées. Par exemple, la Pologne a dû payer 1,6 milliard de francs parce qu’elle a renoncé à privatiser une compagnie d’assurances.

D’autres États ont renoncé à des mesures d’intérêt public par crainte d’une condamnation, comme l’Allemagne, menacée de devoir payer 2 milliards de francs au géant de l’énergie Vattenfall, qui a dû accepter la construction d’une centrale à charbon dans un marais protégé.

Jusqu’ici, notre pays avait été épargné. Mais, en 2020, un fonds d’investissement basé aux Seychelles a réclamé 300 millions de francs sur la base d’un accord Suisse-Hongrie, à cause d’un arrêté fédéral urgent sur la revente de terrains. Le cas est pendant, et bien malin qui pourra dire ce que décideront les arbitres, qui siégeront à huis clos.

Le gros risque

Mais le risque le plus coûteux est encore à venir: le sauvetage de Credit Suisse a aiguisé l’appétit de ceux qui ont perdu de l’argent dans cette affaire (même s’ils en connaissaient les risques). Des plaintes ISDS contre la Suisse sont en préparation et on estime le montant des dommages-intérêts à 8 milliards de francs. Tout ça pour avoir appliqué nos propres règles à une entreprise qui a son siège dans notre pays.

Le parlement fédéral se prononcera prochainement sur un accord de libre-échange avec l’Indonésie qui introduit un ISDS, mais aussi sur le Traité sur la charte de l’énergie, que de nombreux États ont résilié parce qu’il contient un tel mécanisme d’arbitrage. Espérons que l’on pourra compter aussi sur le vote de ceux qui prétendent défendre la souveraineté et s’opposer aux «juges étrangers».

source: 24 heures