Pourquoi il faut sortir du traité sur la charte de l’énergie, cet accord d’investissement qui fait dérailler la transition

L’Humanité | 8 juillet 2021

Pourquoi il faut sortir du traité sur la charte de l’énergie, cet accord d’investissement qui fait dérailler la transition

par Pia de Quatrebarbes

Alors qu’a lieu, du 6 au 9 juillet, un nouveau round de négociation pour « moderniser » le traité sur la charte de l’énergie, 400 organisations de la société civile lancent un ultimatum à la Commission européenne et aux États membre de l’UE pour sortir au plus vite de cet accord d’investissement qui plombe le climat et la transition.

Comme une épée de Damoclès qui pèse sur toutes les politiques de lutte contre le réchauffement climatique… À midi, ce 6 juillet, des militants l’ont représentée devant le siège de la Commission européenne pour montrer comment ce « traité sur la charte de l’énergie (TCE) empêche, édulcore, retarde ou rend plus coûteuses toutes mesures d’ampleur pour la transition », explique Maxime Combes, économiste et porte-parole de l’Aitec (1). 400 organisations de la société civile (2) lancent un appel à la Commission ainsi qu’aux États membres pour sortir de cet accord d’investissement au plus vite.

L’opacité commence à se fissurer

Ce jour-là, à l’abri des regards et sans faire de bruit, le 3 e round de négociation de l’année 2021 pour le « moderniser » se réunit jusqu’au 9 juillet. Rien n’en sortira sans doute, mais désormais l’opacité commence à se fissurer. « Notre travail a payé. Cela fait des années qu’on explique ses méfaits », explique Nicolas Roux, porte-parole des Amis de la Terre chargé du commerce.

Pourtant, il y a deux ans, personne ou presque ne connaissait cette charte, vieille comme un fossile. Pour comprendre de quoi il retourne, il faut revenir aux années 1990. Élaborée en 1994, dans l’effondrement du bloc soviétique et de la guerre du Golfe, cette charte visait à l’origine à sécuriser les approvisionnements énergétiques de l’Europe de l’Ouest. Quatre ans plus tard, en 1998, un traité en découlait – le TCE –, vaste accord d’investissement multilatéral encadrant ce nouveau marché libre entre pays producteurs et pays consommateurs. La Russie compte parmi les premiers pays à le ratifier, la France le fait en 1999.

Une justice parallèle au service des multinationales

Vingt-cinq ans plus tard, 57 États en font partie. Les règles sont toujours les mêmes, les investissements dans les énergies fossiles (gaz, charbon, pétrole) toujours protégés par un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États. En clair, une justice parallèle au service des multinationales du secteur. « Si une compagnie estime qu’elle a été lésée par des mesures prises par un État, en vertu du TCE, elle peut l’attaquer devant un tribunal arbitral privé. C’est un panel le plus souvent composé d’avocats d’affaires internationaux », éclaire Nicolas Roux.

À ce jeu-là, la Slovénie vient de se faire attaquer par la firme britannique Ascent Resources. Son tort ? Avoir demandé une étude d’impact à l’entreprise pour des activités de fracturation hydraulique pour le gaz sur son territoire… En février dernier, la compagnie allemande RWE avait attaqué les Pays-Bas pour la fermeture de deux centrales à charbon.

130 procédures dans le monde

Au cours du mois de juillet, est attendue une autre décision : l’entreprise Rockhopper Exploration demande 275 millions de dollars à l’Italie pour avoir interdit un forage offshore près de ses côtes. Au total, on compte près de 130 procédures engagées partout dans le monde. Et les amendes pleuvent : « Le record est détenu par la Russie, elle a dû payer 50 milliards de dollars à l’entreprise Ioukos », révèle le porte-parole en charge du commerce des Amis de la Terre.

À force de mobilisation, les ONG sont parvenues à mettre en lumière cet accord d’investissement. Un million de signatures et un appel de 150 scientifiques plus tard, la France, elle, demandait en décembre dernier, à la Commission européenne « d’évaluer la possibilité d’une sortie coordonnée du traité »… À peu de frais cependant, l’Hexagone ayant très peu d’exploitations d’énergies fossiles sur son territoire. La Commission européenne et les parties prenantes ont bien ouvert un processus de modernisation du TCE. Sauf qu’il s’enlise complètement… « Il faut un vote à l’unanimité pour changer ne serait-ce qu’une virgule, rappelle Maxime Combes . Le Japon comme le Kazakhstan, par exemple, ne veulent rien en changer. » Ce dernier pays étant complètement dépendant du charbon…

Aucun progrès depuis six mois

Des câbles diplomatiques issus du dernier round de négociations entre la Commission et les parties prenantes au mois de juin ont été rendus publics par les ONG : aucun progrès depuis six mois, disent-ils en substance. « Cela fait surtout la démonstration que les États ne parviendront pas à désamorcer le caractère le plus nocif de ce traité ni à le faire dans le temps imparti », appuie l’économiste. Le temps imparti, c’est l’urgence climatique et la 26 e conférence mondiale pour le climat qui doit se tenir les 11 et 12 novembre à Glasgow, au Royaume-Uni, alors que les pays européens entendent être à l’avant-garde de la lutte contre le réchauffement.

Les 400 organisations, dont 30 en France, demandent donc à la Commission européenne, comme à chacun des États membres d’en sortir avant la COP26. Reste à savoir comment ? Car le TCE prévoit une clause « crépusculaire ». « Pendant vingt ans après la sortie, les dispositions du traité s’appliquent toujours », explique Maxime Combes. L’Italie en fait les frais depuis sa sortie en 2015. « Sortir à plusieurs États permet de négocier un accord pour faire sauter cette clause crépusculaire », poursuit l’économiste. Reste que le climat n’a pas le temps d’être vingt ans encore à la merci des géants de l’énergie fossile.

(1) Association internationale de techniciens, d’experts et chercheurs.
(2) Environnementales, climatiques, de développement, de protection des consommateurs, des syndicats, des représentants de la jeunesse.

source: L’Humanité