Arbitrage : ce que le CETA pourrait changer

Les Echos | 17 novembre 2016

Arbitrage : ce que le CETA pourrait changer

par Vincent Bouquet

Pour peu qu’il soit adopté par les 38 assemblées nationales ou régionales appelées à se prononcer dans les différents pays de l’Union, le traité de libre-échange entre l’UE et le Canada pourrait, à terme, généraliser le recours à l’arbitrage.

Dans le flot de critiques adressées au CETA, le mécanisme d’arbitrage prévu dans le traité de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada est régulièrement pointé du doigt. Remanié pour faire taire les critiques selon lesquelles le recours au mécanisme classique d’arbitrage CIRDI (Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements) ne serait pas assez transparent, le texte, sous réserve qu’il soit adopté par les 38 assemblées nationales ou régionales appelées à se prononcer dans les différents pays de l’Union, prévoit désormais l’instauration d’une Cour permanente d’arbitrage composée de 15 membres. Ils seront nommés à un tiers par l’Union européenne, à un tiers par le Canada et à un tiers par des Etats tiers.

Pour examiner chaque affaire relative à un investissement et opposant une entreprise européenne à l’Etat canadien ou une société canadienne à un Etat européen – ou à l’Union européenne elle-même –, trois arbitres issus de ce panel seront tirés au sort. « A ce stade, il est envisagé qu’ils seront rémunérés pour leur disponibilité au sein de la Cour permanente d’arbitrage mais aussi en fonction du temps passé sur les dossiers qui leur auront été attribués, précise Janice Feigher, senior associate chez Norton Rose Fulbright. La désignation des arbitres dans le système CETA repose sur un mécanisme très différent de ce qui se fait habituellement en matière d’arbitrage où deux des arbitres sont nommés par chacune des parties, tandis que la désignation du président du tribunal est le fruit d’un consensus entre les deux co-arbitres ou d’une décision d’une institution arbitrale. »

De surcroît, contrairement aux règles habituelles, un appel sur le fond après une sentence rendue par cette Cour d’arbitrage sera possible. Traditionnellement, sauf clause spécifique prévue dans la convention d’arbitrage conclue entre les deux parties, seul un recours en annulation est autorisé sur le fondement de critères restrictifs – par exemple, le manque d’indépendance ou d’impartialité de l’un des arbitres ou la contrariété de la sentence arbitrale avec l’ordre public. « Avec cet accord, c’est un nouveau modèle qui émerge, note Martin Valasek, associé au bureau canadien de Norton Rose Fulbright. On ne sait pas vraiment comment cela va fonctionner, notamment car ce sont les Etats qui auront la charge de nommer les membres de la Cour permanente d’arbitrage. »

Un fonctionnement proche de celui des cours internationales

Aujourd’hui, pour avoir recours à l’arbitrage afin de régler un contentieux avec les parties publiques canadiennes ou européennes, les entreprises canadiennes ou européennes doivent se montrer particulièrement prévoyantes en incluant dans le contrat passé avec l’Etat une clause d’arbitrage CIRDI ou un autre mécanisme de résolution des litiges entre Etats et investisseurs, comme une clause faisant référence au règlement d’arbitrage de la Chambre de Commerce Internationale. « Ce mode de règlement des litiges fonctionne particulièrement bien car il permet d’échapper aux biais possibles des tribunaux étatiques, explique Janice Feigher. C’est une procédure plus souple, plus objective et dont la qualité est garantie par des arbitres toujours très compétents car particulièrement bien formés. »

Problème : cette solution est aujourd’hui réservée à une minorité d’entreprises, dotées des équipes capables, en interne, de bien rédiger les clauses d’arbitrage à inclure dans les contrats ou familiarisées avec le mécanisme de résolution des litiges entre Etats et investisseurs par le biais de traités bilatéraux d’investissement. « Si le CETA est effectivement appliqué, l’arbitrage sera alors rendu accessible, par défaut, à n’importe quelle entreprise rentrant dans le champ d’application de l’accord, assure Martin Valasek. C’est l’assurance, pour elles, d’avoir un recours efficace en cas de contentieux portant sur un investissement avec un Etat. » Surtout, lorsqu’elles font affaire avec une partie publique, les sociétés ne sont pas toujours directement liées par un contrat avec elle, la relation pouvant parfois reposer sur un « simple » investissement, ce qui peut donner lieu à des mesures d’expropriation indirecte dommageables pour les entreprises, comme l’imposition de barrières tarifaires. « Même dans ce cas, avec le CETA, l’investisseur aura la possibilité de recourir à l’arbitrage s’il s’estime lésé, ce qui est tout simplement impossible aujourd’hui », poursuit l’avocat.

Balayant les critiques des détracteurs de l’arbitrage – « un système mal connu et diabolisé, perçu comme une justice de riches dont les multinationales se serviraient pour être indemnisées à coup de deniers publics », selon Janice Feigher –, les deux avocats voient dans le mécanisme hybride retenu dans le CETA un mode de fonctionnement se rapprochant de celui des cours internationales. « Contrairement à ce que certains laissent à penser, ce ne sont pas toujours les entreprises qui gagnent lorsqu’elles lancent une procédure d’arbitrage, ajoute Martin Valasek. ll faut laisser les réactions émotionnelles de côté et se concentrer sur l’aspect pratique d’une telle disposition : si les entreprises se sentent mieux protégées par ce nouveau recours, elles n’hésiteront plus à investir de part et d’autre de l’Atlantique. » D’autant que quelques garde-fous ont d’ores et déjà été entérinés : une entreprise ne pourra, par exemple, pas automatiquement avoir droit à une indemnisation d’un Etat lié par le CETA pour une perte de bénéfices due à un changement de loi ou de réglementation.

source: Les Echos