Iskandar Safa : l’homme qui fait plier les États

Le Télégramme | 2 août 2020

Iskandar Safa : l’homme qui fait plier les États

Le propriétaire des chantiers CMN, à Cherbourg (50), vient de remporter un nouveau jugement contre Athènes, qui lui contestait la propriété d’Hellenic Shipyards. Une victoire pour Iskandar Safa, qui entend participer à la consolidation en Europe de la construction navale.

« Je ne lâche rien ». À force de ténacité, Iskandar Safa pourrait bien faire repartir Hellenic Shipyards, le plus grand chantier naval grec. Depuis la prise de contrôle, en 2010, Athènes ne cesse de lui en contester la propriété. Résultat : le chantier est à l’arrêt.

L’homme d’affaires franco-libanais vient d’obtenir, le 24 juillet dernier, un jugement en sa faveur du Cirdi, l’organisme de règlement des différends de la Banque mondiale. Une victoire qui vient appuyer un arbitrage de la Chambre de commerce internationale, qui condamnait, en 2017, la Grèce à verser 202 millions d’euros d’indemnités, confirmé en appel. Après dix ans de procédures, le feuilleton grec pourrait enfin trouver sa conclusion et le chantier reprendre son activité.

Lire aussi : M. Iskandar Safa dépose un recours contre la République grecque auprès du CIRDI

Ce n’est pas la première victoire de Privinvest, le groupe d’Iskandar Safa et de son jeune frère, Akram, face à un État. Le 2 décembre, un jury populaire de New York a débouté le ministère américain de la Justice (DoJ) de ses accusations de fraudes et de malversations à l’encontre de Jean Boustani. Ce dernier est le responsable d’un contrat de 2 milliards d’euros, remporté par Privinvest au Mozambique. À la différence d’Alstom ou BNP Paribas, qui ont courbé l’échine face à l’extraterritorialité contestable du droit américain et dû payer d’importantes amendes, Iskandar Safa n’a pas lâché son salarié, alors incarcéré, et a tenu à faire valoir ses droits.

Les otages du Liban en 1988

Faire bouger les lignes est une marque de fabrique pour Iskandar Safa : il s’est fait connaître en 1988 en obtenant la libération des otages français du Liban, grâce à sa connaissance des organisations chiites. « Il n’y a pas eu de rançon, précise-t-il. La monnaie d’échange fut l’apurement du dossier Eurodif avec Téhéran et le rétablissement des relations diplomatiques ».

La même année, Iskandar Safa tente de reprendre les chantiers navals de Cherbourg, spécialisés sur les navires légers de combat. Mais le dossier lui échappe. C’est finalement en 1992 qu’il prendra le contrôle des Constructions mécaniques de Normandie, alors en grandes difficultés. « J’étais le seul à présenter une offre, explique-t-il. J’ai relancé l’entreprise en décrochant le plus gros contrat militaire français avec Oman, alors que personne n’y croyait car le pays est sous influence britannique, puis avec la marine du Koweït ».

Un milliard d’euros de chiffres d’affaires

Un aboutissement pour cet héritier des navigateurs phéniciens de l’Antiquité. Chrétien maronite, « Sandy », comme chacun l’appelle, est né, en 1955, « les pieds dans l’eau de la baie de Jounieh », un petit port au nord de Beyrouth. Fils du directeur de cabinet de l’ancien président de la République Béchara el-Khoury, il obtient son diplôme d’ingénieur civil à l’Université américaine de Beyrouth avant de venir en France, en 1982, étudier à l’Insead. Il se lance dans le business des offsets, ces compensations locales consenties par les industriels pour obtenir des contrats à l’étranger.

Aujourd’hui, son groupe Privinvest pèse un milliard d’euros de chiffre d’affaires, dont la plus grande partie dans les chantiers navals. Avec l’appui de Berlin, Iskandar Safa vient d’entrer en négociation pour fusionner ses chantiers de Kiel avec le grand concurrent, Lürssen. « J’accepte d’en perdre le contrôle car l’industrie doit se consolider pour exister face aux géants américains et chinois, explique-t-il. Je pousse depuis cinq ans pour que ce mouvement se fasse autour d’un axe franco-allemand. Le projet européen doit d’ailleurs être achevé en réunissant, après l’économie, tout le régalien. C’est nécessaire si l’UE veut continuer de peser ». Européen convaincu, il n’en a pas moins acquis l’hebdomadaire de droite volontiers souverainiste, « Valeurs actuelles ».

« Je suis un bâtisseur »

Titulaire d’un passeport français depuis 2000, Iskandar Safa achète cette année-là à la famille Ricard le Domaine de Barbossi, une propriété de 1 350 ha au bord de sa chère Méditerranée, à Mandelieu-la-Napoule (06). « Je suis un bâtisseur, à chaque fois j’essaie de développer ce que j’acquiers », explique celui qui y a créé un golf, un haras, des vignes, une oliveraie, 600 ruches et projette d’y construire un lotissement immobilier.

Son implication dans la région ne s’arrête pas là. Iskandar Safa entre en 2019 au capital d’Azur TV, une chaîne locale diffusée de Menton à Marseille, et place à sa tête l’ancien directeur de LCI, Éric Revel. Il s’offre aussi les services de Francis Morel, l’ex-patron du Figaro et des Échos. Son offre de reprise du quotidien Nice-Matin échoue face à celle de Xavier Niel (Free) ? Qu’à cela ne tienne, il prévoit déjà de bâtir un site d’informations locales concurrent !

source: Le Télégramme