L’Afrique au cœur du systeme universel CIRDI

Institut Afrique Monde | 11 juillet 2016

L’Afrique au cœur du systeme universel CIRDI

L’arbitrage demeure depuis des lustres, le mécanisme le plus adéquat pour régler les litiges nés des relations commerciales internationales. Il est incontestablement devenu depuis les années 1970, le mode de règlement des différends préféré des acteurs du commerce international. Dans les années cinquante, pour favoriser le développement des pays non industrialisés, il s’est avéré nécessaire de créer des conditions-cadre afin que les capitaux étrangers affluent. Il fallait promouvoir les investissements et, pour cela, donner confiance aux investisseurs et sécuriser leurs apports.

L’arbitrage investisseur-État se propose de supplanter la protection diplomatique qui était pendant un temps révolu le seul recours dont disposaient les investisseurs à l’encontre des États hôtes. Celle-ci s’est révélée inefficace et complexe en raison de divers facteurs dont la nécessité d’épuiser les voies judicaires internes et au fait qu’il appartient au bon vouloir de l’État d’initier la procédure en faveur de son ressortissant.

Afin de mieux comprendre le rôle de pionnier de l’Afrique, il sied d’en rappeler les avantages de l’arbitrage par rapport au contentieux judiciaire : Il permet aux parties de régler leurs désaccords sur un terrain « neutre » et évite de donner un « Heimvorteil » à l’une ou l’autre des parties : aucune des parties n’agit devant sa juridiction nationale et ne se trouve donc avantagée de ce fait par rapport à l’autre. Les parties sont libres dans le choix des arbitres. Elles peuvent nommer des personnes ayant les compétences et la disponibilité souhaitées par les parties. Les procédures arbitrales sont en général plutôt rapides car seul le tribunal arbitral peut statuer sur le fond du litige. Il n’y a, en principe, pas d’appel. L’arbitrage est une voix mixte, uni-contractuelle mi-juridictionnelle, le caractère contractuel l’emportant souvent dans la tradition de la common law, à l’inverse des conceptions civilistes du droit.

Le contraste entre l’extraordinaire bienveillance témoignée par la communauté des nations à l’égard des tribunaux arbitraux privés et la réserve, voire la méfiance, affichée et persistante à l’égard des autorités judiciaires d’Etats tiers est saisissant. La délocalisation du processus d’arbitrage constitue une garantie contre le risque de manipulation de la part de la partie publique. L’investisseur n’est plus obligé d’épuiser les voies de recours internes, il ne dépend plus du bon vouloir de son Etat national pour faire régler le litige, et c’est bien son litige avec son Etat d’accueil qui va être porté devant les arbitres.

Il existe en matière de protection des investissements étrangers trois fondements possibles à leur compétence : un contrat d’Etat, un traité (TBI ou AMI) ou une loi de l’Etat d’accueil. De nombreux BIT et traités multilatéraux contiennent des définitions d’un investissement. Mais elles ne sont pas nécessairement décisives quant à la signification de ce concept conformément à la Convention du CIRDI [1]. On constate en effet que faute d’une définition unique dans les textes applicables, qu’ils s’agissent de traités multilatéraux, bilatéraux (TBI) ou de lois nationales de protection des investissements , la jurisprudence arbitrale internationale est contradictoire .

Il est important de distinguer également le droit de l’investissement et sa jurisprudence. Le régime international de l’investissement se compose aujourd’hui d’un enchevêtrement d’accords internationaux sur l’investissement où prédominent les traités bilatéraux (TBI). Il en existe environ 2500 actuellement. On est tenté d’interpréter la profusion des TBI comme une solution de second rang suite aux échecs répétés des projets d’accord multilatéral (AMI). La sécurité des investissements s’est renforcée par l’internationalisation du contentieux de l’investissement international par l’émergence de centres d’arbitrage spécialisés – le plus significatif, le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) mis en place par la Convention de Washington du 18 Mars 19 65 – apportant un territoire neutre pour le règlement des différends en matière d’investissement. Si, le droit international économique a prospéré avec bonheur ad extra, hors des frontières africaines, la contribution des Etats africains à la naissance et aux fondations du système d’arbitrage CIRDI a été décisive.

Le CIRDI est une institution spécialisée à laquelle la plupart des pays africains ont adhéré. La juridiction arbitrale du CIRDI connait un succès considérable et grandissant auprès des Etats et des investisseurs. Elle permet à un investisseur d’un Etat signataire d’instituer unilatéralement une procédure arbitrale à l’encontre de l’Etat hôte de l’investissement s’il a donné son consentement à l’arbitrage CIRDI dans un contrat d’investissement ou dans un traité bilatéral d’investissement (TBI) et manque à ses engagements contractuels ou internationaux. L’arbitrage selon la Convention CIRDI n’est soumis à aucune loi nationale d’arbitrage. En d’autres termes, il n’a pas de lex arbitri nationale. La Convention du CIRDI ne contient aucune règle substantielle. Elle offre simplement une procédure pour le règlement des différends relatifs aux investissements. Tout effort pour codifier la législation substantive des investissements internationaux dans le cadre de la Convention aurait soulevé des difficultés insurmontables.

La Convention a été rédigée entre 1961 et 1965. Les principaux organes qui ont participé étaient le département juridique de la Banque Mondiale, les Administrateurs de la Banque Mondiale et une série de réunions régionales auxquelles les experts de 86 États ont participé. Les Etats africains ont activement participé à la négociation et à la rédaction du texte qui allait devenir la Convention CIRDI, notamment au travers des réunions consultatives régionales, dont la première s’est tenue à Addis-Abeba en décembre 1963, et des travaux des experts du Comité juridique de novembre et décembre 1964. Plus d’une cinquantaine d’experts juridiques désignés par 29 Etats africains ont participé à cette consultation régionale. En 1978, le Mécanisme supplémentaire a été créé . Ce mécanisme est conçu principalement pour offrir des méthodes de règlement des différends relatifs aux investissements lorsqu’un seul des États concernés, soit l’État hôte soit l’État de la nationalité de l’investisseur, a ratifié la Convention.

La crédibilité d’un centre d’arbitrage international se mesure à la confiance qu’il inspire aux justiciables tant par l’insertion des clauses compromissoires, des dispositions nationales ou internationales qui le visent, que par la qualité des décisions rendues sous son égide. Parmi les 25 premières affaires enregistrées au CIRDI, la majorité (15 d’entre elles) impliquent des Etats africains. Ceci reflète l’importance en nombre des Etats africains parmi les (premiers) Etats membres. Un examen général des traités bilatéraux de protection des investissements montre que les Etats africains insèrent fréquemment dans le corps du traité une disposition qui prévoit qu’en cas de litige entre l’Etat d’accueil de l’investissement et l’investisseur, les parties au litige soumettront ce litige au Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI). L’arbitrage en matière d’investissement répond-il aux espoirs que l’Afrique a placés en lui? Cette question apparaît d’autant plus fondamentale que l’Afrique, dont certains pays bénéficient de taux de croissance spectaculaires, fait aujourd’hui figure d’Eldorado économique pour bon nombre d’investisseurs.

Les investissements étrangers directs jouent un rôle crucial dans le développement économique. Ils donnent accès à un certain nombre de facteurs économiques indispensables dans ce contexte. Parmi eux, citons les capitaux, la technologie et le savoir-faire. Le volume de transferts de capitaux dans le cadre des investissements étrangers directs est considérablement plus élevé que toutes les formes d’aide au développement, qu’elles soient bilatérales ou multilatérales.

L’arbitrage international représente une alternative attractive pour régler les différends d’investissements devant les tribunaux nationaux ou par la protection diplomatique. En effet, à coté de l’arbitrage traditionnel fondé sur une clause compromissoire ou un compromis, on voit apparaitre dés la fin des années 80, un nouveau type d’arbitrage fondé sur une offre publique d’arbitrage exprimée erga omnes dans une loi nationale ou un traité bilatéral ou multilatéral d’investissement.

Le consentement à la juridiction du Centre peut, en effet, être donné de plusieurs manières. Ce consentement peut être donné dans un accord direct entre l’investisseur et l’État hôte, comme un contrat de concession. Ou bien, la base du consentement peut être une offre générale de l’État hôte, qui pourra être acceptée par l’investisseur sous une forme appropriée. Une telle offre générale peut se trouver dans la législation de l’État hôte. Une offre générale peut également se trouver dans un traité dont l’État hôte et l’État de nationalité de l’investisseur sont des parties. La plupart des BIT ainsi que certains traités régionaux en matière d’investissements contiennent de telles offres. Les dossiers les plus récents portés devant le CIRDI indiquent que le consentement par accord direct entre les parties laisse place à un consentement par l’intermédiaire d’une offre générale de l’État hôte, qui est ultérieurement acceptée par l’investisseur, souvent simplement en ouvrant une procédure.

Les accords de protection des investissements stipulent diverses obligations à la charge de l’Etat d’accueil. Ce sont le plus souvent : une obligation générale de traitement juste et équitable, y compris l’obligation de traitement national et la clause de la nation la plus favorisée, puis divers devoirs ponctuels, notamment en matière de transferts financiers, et enfin l’obligation de ne pas prendre de mesures d’expropriation, de nationalisation ou de dépossession, sauf pour des motifs d’utilité publique et à condition que ces mesures ne soient pas discriminatoires et qu’elles soient accompagnées d’une indemnité effective et adéquate. Pour comprendre l’état actuel de l’équilibre entre protection des investisseurs et pouvoir normatif des Etats, il faut d’abord connaitre la jurisprudence arbitrale en la matière.

La juridicité du différend investisseur-État, quoique fondée sur les principes de bonne foi, est loin de faire l’unanimité au sein des États. Certains États ayant opté pour la libéralisation du processus agissent cependant de manière subtile pour faire obstacle à l’arbitrage, soit au cours de la procédure arbitrale, en se servant des injonctions de type anti-suit, soit en fin de procédure, en s’opposant à l’exécution de la sentence en se prévalant des immunités étatiques.

La CNUDCI a adopté, le 10 juillet 2013, des règles de transparence pour le règlement des différends entre investisseurs et États (ci‑après les «règles de transparence»), qui ont ensuite été approuvées par l’Assemblée générale des Nations unies le 16 décembre 2013[2]. Ces règles prévoient la publicité de tous les documents (tant les décisions du tribunal que les observations des parties), l’ouverture des auditions au public et la possibilité pour les parties intéressées (société civile) de présenter des observations au tribunal. Les sentences arbitrales font de plus en plus l’objet d’une publication sous l’égide du CIRDI, ce qui permettra de parler à terme d’une jurisprudence stable.

Conclusion

L’Afrique demeure avant tout un continent complexe, traversé par des tendances aussi diverses que contradictoires. L’obligation d’arbitrage a pour effet de supprimer l’exigence d’épuisement des voies de recours internes ; il est en effet acquis que l’Etat qui souscrit à une telle obligation renonce du même coup à invoquer la compétence de ses tribunaux. Un nombre croissant d’Etats africains ont ratifié la Convention Washington pour le règlement des différends relatifs aux investissements entre Etats et ressortissants d’autres Etats.

L’hostilité manifestée par l’Afrique du Sud vis-à-vis de l’arbitrage d’investissement n’est pas sans rappeler l’attitude adoptée par certains pays latino-américains à l’égard de l’arbitrage CIRDI, le Venezuela, la Bolivie et l’Equateur étant allés jusqu’à dénoncer la Convention de Washington.

Outre la promesse d’une justice experte, modulable selon le choix des parties et potentiellement confidentielle, l’avantage de l’arbitrage CIRDI par rapport à la justice étatique pour régler les litiges tient essentiellement aux facilités de reconnaissance et d’exécution des sentences. La gouvernance mondiale peut être pensée comme un processus par lequel des règles et procédures sont créées et légitimées afin de promouvoir une mondialisation plus efficiente et/ou moins conflictuelle. Dans le domaine de l’investissement international, la problématique de la gouvernance mondiale gravite aujourd’hui autour de l’adoption par les Etats de règles communes visant à faciliter et à sécuriser les investissements directs extérieurs (IDE). L’idée maîtresse est la légitimité de l’arbitrage international est sa conformité aux normes internationales de procès équitable et à la règle de droit. Les tribunaux doivent respecter et faire respecter les droits des parties, tout en étant perçus comme rendant justice, souvent avec seulement une supervision limitée des institutions d’arbitrage.

La dernière décennie a vu un épanouissement de l’arbitrage international en Afrique, avec de nombreux centres d’arbitrage régionaux et le développement de nouvelles législations nationales portant sur l’arbitrage. La prolifération des traités bilatéraux d’investissement (TBI) et des centres d’arbitrage qui a marqué l’Afrique ces vingt dernières années témoigne sans conteste d’une diversification de l’offre d’arbitrage et d’un accroissement des ressources locales potentiellement mobilisables par les investisseurs internationaux pour arbitrer leurs différends. Les institutions qui, bien que plus récentes, bénéficient de règlements d’arbitrage fondés sur les standards les plus modernes, d’un soutien politique certain au niveau local et d’infrastructures de qualité. De leur efficacité dépendra la stabilité régionale du régime juridique de l’arbitrage même s’il faut reconnaitre qu’il y a un prix à payer tant du point de vue politique que juridique.

Toutefois, il n’est pas sûr que des investisseurs internationaux, y voient un argument suffisant pour imposer le choix de l’une de ces institutions arbitrales locales par rapport aux grandes institutions internationales, dont les services sont certes bien plus onéreux, mais aussi davantage expérimentés. Le recours par les Etas africains à l’arbitrage CIRDI semble promis à une forte croissance.

Tandis que les textes issus de la première génération de TBI accordaient une place restreinte à l’arbitrage CIRDI dans le règlement des différends entre Etats et investisseurs, la deuxième génération de traités puis la troisième ont contribué à asseoir la légitimité de cette forme de résolution des litiges. Mais cette tendance reste fragile et toute relative.Dans le contexte actuel de la globalisation économique et juridique, le débat sur l’investissement international ne peut être réduit au traditionnel conflit idéologique opposant États du nord, pourvoyeurs des investissements, aux États du sud bénéficiaires desinvestissements. La dimension transnationale que revêtent les investissements internationaux au gré des mouvements d’intégration régionale, requiert une redéfinition de la notion d’arbitrage.


Footnotes:

[1Dans la définition de la notion d’investissement, la sentence Salini contre Maroc (194) a été un tournant dans la détermination des critères d’investissement (195)en précisant les 6 critères constitutifs d’un investissement. Pour qu’il puisse y avoir un investissement : il faut un apport ,une certaine durée d’investissement, la prise de risque, la conformité de cet avoir au droit interne et la contribution au développement économique du pays. La jurisprudence arbitrale développée sous l’égide du CIRDI ne s’en est malheureusement pas tenue à la solution proposée par la sentence Salini qui, comme toute solution, n’était pas parfaite mais avait le mérite d’apporter une certaine sécurité juridique. Ces critères ont été remis en cause par les sentences arbitrales ultérieures notamment sur le critère du développement économique. La question qui s’est posée est celle de savoir si le
développement économique est un critère de qualification d’investissement (196)? Une sentence arbitrale de 2005 dans l’affaire Lesi contre République Démocratique du Congo, les arbitres ont estimé que le critère de développement économique n’était pas un critère satisfaisant et était couvert par les trois autres critères.

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