Rejet de tous les recours dans l’affaire contre le Canada relative aux télécommunications : les modifications de l’environnement réglementaire n’ont pas violé le TJE

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IISD | 5 octobre 2020

Rejet de tous les recours dans l’affaire contre le Canada relative aux télécommunications : les modifications de l’environnement réglementaire n’ont pas violé le TJE

par Anna Sands

 Global Telecom Holding S.A.E. c. Canada, Affaire CIRDI n° ARB/16/16

Global Telecom Holding (GTH), une société par action enregistrée en Égypte, avait pénétré le marché canadien des télécommunications en investissant dans une entreprise canadienne. À l’époque, le Canada cherchait à ouvrir le marché des télécommunications à de nouveaux opérateurs dans le but de favoriser la concurrence. GTH arguait que le Canada avait manqué à son obligation de lui accorder, entre autres, un traitement juste et équitable et la protection et sécurité intégrales, car l’environnement réglementaire du pays changeaient constamment, et était défavorable aux investisseurs étrangers.

Le tribunal rejeta tous ces recours sur le fond, à l’exception d’un recours fondé sur le traitement national, qui, d’après le tribunal, ne relevait pas de sa compétence. Il ordonna aux parties de payer les coûts de l’arbitrage à part égale, et leurs propres frais et dépenses juridiques.

Le contexte et les recours

En 2007, le marché canadien des télécommunications était fortement concentré, principalement partagé entre trois opérateurs (les opérateurs historiques). La mise aux enchères d’une bande de spectre pour de nouveaux services sans fil évolués (SSFE) était l’opportunité d’ouvrir le marché à de nouveaux opérateurs. À cette fin, le gouvernement alloua une portion du spectre aux nouveaux opérateurs, et imposa une restriction sur le transfert des licences aux opérateurs historiques pendant cinq ans, exigeant l’approbation du ministère pertinent pour tout transfert de licence.

GTH conclut divers accords d’investissement avec des entreprises canadiennes au titre desquels elle acceptait d’avancer les fonds pour les licences, et de les confier à Wind Mobile. Au titre des lois canadiennes relatives à la propriété et au contrôle, GTH, en tant qu’investisseur étranger, ne pouvait pas détenir plus de 20 % des actions à droit de vote de Wind Mobile. Les accords d’investissement donnaient toutefois à GTH le droit de prendre le contrôle de Wind Mobile si la législation était par la suite assouplie.

En 2012, la législation fut amendée pour exempter les opérateurs détenant moins de 10 % des parts de marché des restrictions relatives à la propriété étrangère. Mais le transfert des actions à droit de vote restait assujetti à un examen et à l’obtention d’une approbation au titre de la Loi canadienne sur l’investissement, qui exigeait l’examen des investissements réalisés par des étrangers et pouvant porter atteinte à la sécurité nationale. La demande de GTH d’acquisition du contrôle de Wind Mobile était assujettie à cet examen[1].

Dans les années suivants la mise aux enchères des SSFE, le Canada s’inquiéta d’une nouvelle consolidation du marché au terme de la restriction de cinq ans. Il adopta donc de nouvelles politiques, telles que le Cadre de 2013, qui indiquait que l’examen des demandes de transfert de licences inclurait, entre autres facteurs, la concentration de la propriété du spectre lié à ces licences.

GTH lança un arbitrage auprès du CIRDI en 2016, arguant qu’en modifiant le cadre réglementaire et le processus d’examen, le Canada avait violé les normes du traitement national, du traitement juste et équitable (TJE) et de la protection et la sécurité intégrales (PSI), entre autres.

L’exception à la clause du traitement national est interprétée de manière large (mais Gary Born n’est pas d’accord)

Le tribunal considéra que si le TBI Canada-Égypte contenait une obligation de traitement national, l’affaire relevait de l’une des exceptions prévues par le TBI, et ne relevait donc pas de la compétence du tribunal. Les exceptions apparaissaient à l’article IV(2)(d) du TBI, qui précise que les obligations de traitement national des parties « ne s’appliquent pas : […] au droit de chacune des parties d’apporter ou de maintenir des exceptions pour les secteurs ou questions apparaissant dans la liste en annexe du présent accord ». L’annexe (dans CL-001) indique :

Conformément à l’article IV, sous-paragraphe 2(d), le Canada réserve le droit d’apporter ou de maintenir des exceptions dans les secteurs et questions ci-dessous :

  1. Les services sociaux (c.-à-d. l’application du droit public ; les services correctionnels ; la sécurité des revenus et les assurances ; la sécurité ou l’assurance sociale ; le bien-être social ; l’éducation publique ; la formation publique ; la santé et les services de garde d’enfants) ;
  2. Les services de tout autre secteur ;
  3. Les titres publics, tels que décrits dans la CTI 8152 ;
  4. Les prescriptions de résidence s’agissant de la propriété des terres bordant l’océan ;
  5. Les mesures de mise en œuvre de l’Accord signé avec les Territoires du Nord-ouest et de l’Accord pétrolier-gazier signé avec le Yukon.

Dans son opinion divergente, Gary Born contestait cette interprétation, et arguait que le TBI donnait en effet au Canada le droit d’imposer d’autres exceptions à l’application de la norme, mais qu’il fallait pour cela mener à bien d’autres procédures, ce que le Canada n’avait pas fait.

Conformément à l’affaire Vivendi, le traitement juste et équitable accorde une protection plus importante que la norme minimale de traitement requise par le droit coutumier

GTH arguait que le Canada avait violé le TJE en (a) adoptant le Cadre 2013, qui avait eu pour effet d’empêcher GTH de vendre Wind Mobile à un opérateur historique, et (b) en assujettissant GTH à un examen arbitraire relatif à la sécurité nationale qui ne respectait pas la procédure établie, entre autres.

Le tribunal accepta l’interprétation de la norme TJE par GTH, mais conclut que les faits de l’affaire ne la violaient pas. Il conclut que la norme était beaucoup plus large que la norme minimale de traitement requise par le droit coutumier, rejetant l’argument du Canada et faisant référence aux approches des tribunaux des affaires Vivendi c. Argentine et CMS c. Argentine (para 482).

Une modification du cadre réglementaire visant à tenir compte de l’évolution du marché et qui n’est pas arbitraire ou ne cible pas l’investisseur ne constitue pas une violation du TJE

D’après le tribunal, le Cadre de 2013 ne violait pas le TJE. Suivant les approches des affaires EDF c. Roumanie et SARL c. Espagne, une modification du cadre juridique cherchant à refléter l’évolution du marché, qui n’est pas arbitraire et ne cherche pas à nuire à l’investisseur, ne viole pas la norme (para. 563). En outre, pour qu’une mesure soit jugée arbitraire, elle devrait être fondée sur un « excès de discrétion, de biais ou de préférence personnelle, et adoptée pour des raisons différentes de celles énoncées par le décideur » (citant Crystallex c. Venezuela) (para 561). Le tribunal conclut que, puisque l’objectif du Cadre de 2013 était de rendre le marché plus compétitif, en conformité avec la mise aux enchères préalable des SSFE, le cadre n’était pas arbitraire.

La norme de la procédure légale établie est respectée lorsque le sujet d’une enquête a la possibilité de se défendre de manière équitable

Selon le tribunal, l’examen relatif à la sécurité nationale ne violait pas le TJE. Le tribunal analysa si l’examen avait été mené conformément à la procédure établie, de manière non-arbitraire, raisonnable et transparente, critères du TJE. S’agissant de la procédure établie, le tribunal considérait que cette norme « devait être jugée comme satisfaite lorsque le sujet d’une enquête se voit accorder une juste possibilité de présenter ses arguments en lien avec des questions immédiatement déterminées, et que cette possibilité est accordée suffisamment de temps avant la prise d’une décision administrative fondée sur des facteurs objectifs et vérifiables, et après une période appropriée, sans hâte » (para. 608). Il détermina que puisque le Canada avait accordé à GTH une opportunité appropriée de se défendre, il n’avait pas violé la procédure établie.

La norme de la protection et sécurité intégrales va au-delà de la seule protection physique, et exige de l’État qu’il agisse avec « la diligence due »

GTH prétendait que la protection et la sécurité de son investissement avaient été violées par les changements apportés au cadre réglementaire et les examens auxquels son investissement avait été soumis. Suivant son analyse de la norme TJE, le tribunal accepta l’interprétation de la norme par GTH, mais conclut qu’en l’espèce, elle n’avait pas été violée. Il était d’accord avec le fait que la norme ne se limite pas à la protection contre les interférences physiques de l’État, mais inclut également la protection juridique de l’investissement. La PSI exige également de l’État qu’il agisse avec « la diligence due » pour satisfaire cette obligation (para. 662).

Remarques : le tribunal était composé du Professeur Georges Affaki (président nommé par les parties, Franco-syrien), de M. Gary Born (nommé par le demandeur, des États-Unis), et du Professeur Vaughan Lowe (nommé par le défendeur, de Grande-Bretagne). La décision du 27 mars 2020 est disponible sur https://www.italaw.com/sites/default/files/case-documents/italaw11434.pdf

Anna Sands est une étudiante en Master en études en développement à l’Université d’Oxford. La recherche qu’elle mène dans le cadre de son Master se centre sur les effets empiriques de l’arbitrage des investissements sur les choix politiques des gouvernements. Elle détient une licence en droit français de l’Université d’Oxford.

[1] La procédure et les résultats exacts de l’examen relatif à la sécurité nationale n’ont pas été rendus publics dans la décision écrite.

source: IISD