Renégociation de l’Alena : les Etats-Unis ne jouent pas la rupture

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Le Monde | 30 janvier 2018

Renégociation de l’Alena : les Etats-Unis ne jouent pas la rupture

Par Arnaud Leparmentier

La rupture évoquée par Donald Trump n’a pas eu lieu. Au contraire : la (re)négociation de l’Accord de libre-échange nord-américain (Alena) semble s’être enfin nouée à l’issue d’une semaine de pourparlers à Montréal (Canada). Au cours des cinq séances qui se sont étalées d’août à décembre 2017, un doute subsistait sur la volonté des Etats-Unis de trouver un terrain d’entente avec le Canada et le Mexique.

« La bonne approche pour Ottawa est de travailler au meilleur et de se préparer au pire. Sans être excessivement optimiste, je suis encouragée par les progrès que nous avons faits à Montréal », a résumé, lundi 29 janvier, la ministre des affaires étrangères canadienne, Chrystia Freeland, tandis que le ministre de l’économie mexicain, Ildefonso Guajardo, a estimé qu’en dépit des « défis substantiels à surmonter », les progrès enregistrés mettaient les trois pays « sur la bonne voie pour créer un point d’atterrissage et pour conclure cette négociation ».

Surtout, le représentant au commerce des Etats-Unis, Robert Lighthizer, a adopté un ton positif. « Ce fut un pas en avant, mais nous progressons très lentement. Il faut aller plus vite », a-t-il déclaré, affirmant « espérer des percées » d’ici aux prochaines réunions, à la fin de février, à Mexico, et en mars, à Washington. Le ton tranche avec la dernière apparition publique des trois négociateurs, en octobre 2017, à Washington ; à l’époque, M. Lighthizer s’était dit « surpris et déçu » par les positions du Canada et du Mexique.

Trois dossiers clés

En clair, pas de rupture unilatérale américaine ni d’annonce tonitruante à attendre lors du discours sur l’état de l’Union que doit prononcer Donald Trump, mardi 30 janvier.

Plusieurs explications : d’abord, la séance montréalaise a été l’objet d’un véritable défilé en provenance des Etats-Unis — des agriculteurs, des membres du Congrès et des industriels de l’automobile y ont répété leur attachement à l’Alena. Des responsables canadiens avaient, de leur côté, arpenté le territoire de leur grand voisin pour vendre ce traité. M. Guajardo s’est d’ailleurs réjoui de cet « intérêt sans précédent » qui, en fait, protège le traité.

Ensuite, les marchés financiers n’ont pas intégré une fin de l’accord de libre-échange entre les trois pays, et Donald Trump ne veut pas se retrouver confronté à une crise boursière.

Dans cette affaire, les dossiers techniques avancent bien, mais c’est surtout sur les sujets qui fâchent que l’abcès a été crevé à Montréal. « Nous avons finalement commencé à discuter des sujets clés », s’est ainsi réjoui M. Lighthizer. Ceux-ci sont au nombre de trois : l’automobile ; les tribunaux d’arbitrage en cas de conflit ; et l’extinction du traité tous les cinq ans s’il n’est pas renouvelé.

Sur l’automobile, Washington veut que le taux de composants nord-américains soit relevé de 62,5 % à 80 %, avec 50 % pour les seuls Etats-Unis. Ottawa a fait une contre-proposition, consistant à inclure dans ce calcul plusieurs éléments qui n’étaient jusqu’à présent pas pris en compte : l’acier, l’aluminium et les logiciels.

En conférence de presse, M. Lighthizer a rejeté la proposition, estimant que ce mode de calcul ferait baisser le taux de contenus nord-américains dans l’automobile et conduirait à moins d’emplois dans l’Alena. En réalité, le sujet a été discuté à au moins deux reprises pendant une heure et demie, selon un négociateur canadien.

Flavio Volpe, président de l’Association des fabricants de pièces d’automobile canadienne ne s’arrête pas aux déclarations tonitruantes. Selon lui, le numérique représente un quart de la valeur ajoutée d’un véhicule contre 1 % lors de l’entrée en vigueur de l’Alena, en 1994. L’idée d’Ottawa ne pourrait que favoriser la Silicon Valley californienne et la recherche à Detroit (Michigan). Elle a d’ailleurs le soutien des industriels et des syndicats nord-américains. Il faut la laisser décanter. « Il y a un an, les Américains parlaient d’un droit de douane de 35 % », rappelle-t-il.

Second sujet, les tribunaux d’arbitrage, en cas de conflit entre investisseurs et Etats. Washington n’en veut plus. Ottawa envisage d’y avoir recours bilatéralement avec les Mexicains.

Enfin, Canadiens et Mexicains ne veulent pas que l’Alena arrive à échéance tous les cinq ans, s’il n’est pas prolongé explicitement, mais ils envisagent d’avoir une clause de révision systématique. Mme Freeland a refusé de révéler ce que disait en privé M. Lighthizer à ce sujet, laissant entendre une certaine ouverture.

En public, le ton est resté rugueux. Chacun s’est dit ravi d’être à Montréal, les délégations étaient détendues, mais pas au point d’autoriser la presse à poser des questions. On a aussi assisté à des attaques frontales par déclarations interposées : M. Lighthizer a utilisé les statistiques canadiennes pour dénoncer le déséquilibre commercial entre les deux pays ; Mme Freeland a riposté avec des données américaines.
Des camions à la frontière entre les Etats-Unis et le Mexique, à Tijuana, le 22 janvier.

Surtout, M. Lighthizer a reproché à Ottawa d’envisager des accords commerciaux avec des parties tierces plus favorables qu’avec le Mexique et les Etats-Unis, notamment dans les services. « Si les Etats-Unis faisaient de même, ils seraient accusés de vouloir vendre des pilules empoisonnées », a déclaré le représentant au commerce.

Dans cette affaire, Washington voit avec agacement que ses deux partenaires nouent des partenariats avec l’Europe et les pays du Pacifique pour limiter l’emprise de leur imposant voisin : le Mexique s’apprête à signer un accord de libre-échange avec l’Union européenne (UE), et le Canada a rejoint, à la fin de janvier, le partenariat transpacifique que Donald Trump avait choisi de quitter à peine élu.

Surtout, M. Lighthizer a accusé Ottawa d’avoir lancé « une attaque massive contre [les] lois commerciales [de son pays] », en traînant Washington devant l’Organisation mondiale du commerce en raison d’un conflit sur les exportations de bois d’œuvre.

Mme Freeland a expliqué que cette question pouvait être résolue en revenant à la table des discussions et qu’elle n’avait rien à voir avec l’Alena, dont la négociation est autonome. Selon elle, « personne ne doit être surpris par la rhétorique dans les négociations commerciales », qui suivent toujours « un processus dramatique ».

Lors des deux prochains rendez-vous, les tractations devraient être compliquées par le calendrier politique mexicain — élection présidentielle en juillet 2018, entrée en fonctions en décembre — et par les élections de mi-mandat aux Etats-Unis. Mais rien n’a été dit sur une possible pause des négociations.

source: Le Monde