CETA, le tribunal d’arbitrage est-ce la fin des droits des États ?

L’Humanité | 23 février 2017

CETA, le tribunal d’arbitrage est-ce la fin des droits des États ?

par DANIEL ROUCOUS

Le traité commercial entre l’Union européenne et le Canada prévoit que les litiges entre investisseurs étrangers et États soient jugés par une Cour spéciale. C’est dangereux pour nos lois, nos droits et notre Constitution. Explications et entretiens.

Le 1er avril (non ce n’est pas un poisson) entre en vigueur « provisoirement » l’AECG (accord économique et commercial global) dit CETA entre le Canada et l’Union européenne.

Les courageux le liront, cet Accord ou Traité de 1598 pages téléchargeable en langue française sur le site de la Commission europénne est davantage commercial qu’économique, social et environnemental.

Il comporte surtout une clause (articles 8.18 à 8.45 de l’Accord) qui prévoit qu’en cas de litiges, les différends entre les parties signataires du Traité EU/Canada soient jugés par la Cour internationale d’investissement, une sorte de tribunal d’arbitrage permanent.

De quoi s’agit-il et en quoi cela intéresse le citoyen français ?

Outre l’impact sur l’emploi, les services publics, l’environnement et la santé alimentaire dont on peut avoir une idée dans la proposition de résolution européenne des députés Front de Gauche adoptée par l’Assemblée nationale « Pour un débat démocratique sur le CETA UE/Canada », l’AECG ou CETA permet aux investisseurs de passer outre le droit européen et national en faisant régler leurs différends par une cour spéciale dite « Cour internationale d’investissement » ou ICS (International Court System). Cette cour remplace les tribunaux d’arbitrage qui font la loi dans les autres traités.

Cependant, le rapporteur de la commission des affaires étrangères à l’Assemblée nationale, le député Marc Dolez souligne que « les risques pour le droit des États à réguler sont les mêmes : des investisseurs pourront attaquer des décisions de politique publique, par exemple l’interdiction des OGM, et, s’ils gagnent, contraindre les États à leur verser des millions d’euros à titre de compensation. »

Dans ce cas à quoi servent nos parlements qui légifèrent et nos tribunaux qui jugent ? A quoi servent le Parlement européen et la Cour de justice européenne ?

Certes le traité UE/Canada reconnaît le droit de réglementer de chaque Etat (jusqu’à quand ?) mais pas d’imposer sa règlementation aux investisseurs étrangers (et non aux nationaux) relevant du CETA. En cas de différends, ils peuvent saisir la Cour internationale d’investissement dont la décision s’impose aux états membres.

« C’est une atteinte à la souveraineté de l’Etat » pour 107 députés Front de gauche, PS et EELV qui viennent de saisir le Conseil constitutionnel en application de l’article 54 de la Constitution.

C’est quoi cette Cour internationale d’investissement ?

Même si le nom change, il s’agit bien d’un tribunal d’arbitrage mais qui devient permanent et dont la décision est susceptible d’appel devant une cour d’appel d’arbitrage. Cette concession de la Commission européenne face à la montée de la contestation ne change rien au fond.

Il est chapeauté par un Comité mixte lui-même sous l’égide du CIRDI - centre-international-de-reglement-des-differends-sur-l’investissement derrière lequel se cache la Banque mondiale. C’est ce Comité ou commission mixte qui nomme les 15 juges de la Cour à raison de 5 juges de l’Union européenne, 5 du Canada et 5 de pays tiers.

Selon l’article 8.30 de l’Accord ou du Traité, ces juges trés bien payés par le CIRDI mais aussi au nombre d’affaires jugées sont « indépendants, ne suivent les instructions d’aucune organisation ni gouvernement et ne jugent par un différend donnant lieu à conflit d’intérêts direct ou indirect. Ils se conforment aux lignes directives de l’association internationale du barreau sur les conflits d’intérêts dans l’arbitrage international. »

Ceci est très théorique puisque qu’aucune sanction n’est prévu et parmi les questions les plus fréquemment posées, la direction générale du commerce de la Commission européenne répond à la question « qu’est-ce que le système de règlement des différends ? » : « le règlement des différends est un système visant à protéger les investisseurs étrangers de mesures discriminatoires ou de traitements inéquitables de la part des pouvoirs publics ».

Par exemple notre principe constitutionnel de précaution peut être jugé discriminatoire pour un investisseur étranger. Idem pour notre règlementation sur les OGM, les pesticides, les droits sociaux, les services publics.

Par ailleurs seuls les investisseurs étrangers (pas les nationaux) peuvent saisir cette Cour après l’échec d’une médiation. De plus l’investisseur peut exiger qu’un seul membre du tribunal instruise sa plainte ou le différend.

Quoiqu’il en soit, dans un communiqué "L’UE à votre portée", le gouvernement du Canada se réjouit de cet accord qu’il considère comme « progressiste pour renforcer la classe moyenne » et un bon moyen de « pénétrer le marché de l’UE ».

Mathilde Dupré juriste à l’institut Verben et Frédéric Viale, juriste membre d’Attac nous expliquent, dans un entretien, à quoi sert ce tribunal d’arbitrage et les conséquences pour nos droits et notre Constitution.

source: L’Humanité