Explicatif : Les différents types de règlement des différends entre investisseurs et États

Toutes les versions de cet article : [English] [Español] [français]

Photo : CIEL

19 mars 2024

Explicatif : Les différents types de règlement des différends entre investisseurs et États

Le règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS, selon l’acronyme anglais) est un mécanisme de règlement des différends inclus dans de nombreux accords de libre-échange (ALE) et traités bilatéraux d’investissement (TBI). Il permet à un investisseur étranger de poursuivre un État s’il estime que de nouvelles lois ou réglementations d’intérêt public, même en présence de nouvelles preuves scientifiques, pourraient nuire à ses bénéfices escomptés ou au potentiel de son investissement. Il peut alors demander une indemnisation par le biais d’un arbitrage contraignant et éviter de recourir à un tribunal public. Les entreprises demandent généralement une indemnisation qui peut s’élever à des millions voire des milliards de dollars américains. Ses détracteurs estiment qu’il crée un système juridique parallèle, favorable aux entreprises et destiné exclusivement aux sociétés transnationales. Le pouvoir repose entre les mains d’arbitres financièrement intéressés, généralement issus du secteur des affaires, et qui peuvent faire l’objet de conflits d’intérêts invérifiables. Si la plupart des affaires relevant de l’ISDS sont introduites en vertu d’un accord de libre-échange ou d’investissement, d’autres instruments peuvent être invoqués pour engager un litige, à savoir les contrats d’investissement et les lois nationales en matière d’investissement. Au cours des dix dernières années, des groupes de la société civile du monde entier ont lutté contre l’ISDS, ce qui a contribué à rejeter certains accords de libre-échange et d’investissement, notamment le Traité sur la Charte de l’énergie. Quel type d’arbitrage ISDS a été le plus utilisé par les entreprises ? Pourquoi est-il important de comprendre les différentes formes d’ISDS ?

L’arbitrage en vertu d’accords de commerce et d’investissement

L’arbitrage en vertu d’un traité d’investissement est une invention postcoloniale des années 1960, destinée à protéger les actifs des anciennes puissances coloniales des nouveaux États indépendants. Il a été introduit pour la première fois en 1969 dans le traité bilatéral d’investissement entre l’Indonésie et les Pays-Bas. La grande majorité des affaires d’ISDS sont introduites dans le cadre de ces traités. Selon le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI), qui fait partie du groupe de la Banque mondiale et qui est le forum d’arbitrage le plus utilisé, les ALE et les TBI sont invoqués dans 84 % des affaires qu’il administre. Le Traité sur la Charte de l’énergie et l’Accord de libre-échange nord-américain ont été invoqués dans 13 % et 12 % des cas respectivement. Cette situation est très problématique en raison de son impact systémique et international. Tout investissement (entreprise, actions, obligations, produits dérivés, contrats, droits de propriété intellectuelle, licences, biens) réalisé par une entreprise d’un État signataire dans un autre État signataire peut être protégé par un accord de commerce et d’investissement.

L’arbitrage dans le cadre de contrats

À l’époque coloniale, et avant la création des ALE et des TBI modernes, les autorités coloniales utilisaient des contrats de concession pour accorder à des entreprises privées ou à des particuliers des droits exclusifs d’extraction de ressources, telles que les minerais et les récoltes, ou pour mener d’autres activités économiques dans les colonies et les protectorats, comme la construction d’infrastructures et l’exploitation de systèmes de transport. Les investissements étaient généralement protégés par les lois du pays de l’investisseur. Lorsque les colonies sont devenues indépendantes, ces contrats ont ouvert la voie aux contrats d’investissement. Ils contenaient des dispositions qui sont encore couramment utilisées aujourd’hui, comme les clauses de stabilisation, qui obligent les États à s’abstenir d’exercer leurs prérogatives législatives ou administratives d’une manière qui pourrait nuire à l’investissement. Ils prévoyaient également l’arbitrage entre investisseurs et États pour résoudre les différends. Ce type d’arbitrage reposant sur des contrats contournait les tribunaux locaux et témoignait de la capacité d’individus à établir des systèmes réglementaires, dans le cadre du droit international, qui servaient leurs intérêts. En ce sens, il préfigurait l’arbitrage prévu dans les traités d’investissement qui allait émerger quelques années plus tard. Aujourd’hui, les entreprises peuvent choisir de négocier un contrat avec un État si elles ne sont pas protégées par un traité d’investissement, ou pour obtenir de meilleures conditions d’investissement. Bien qu’il ne soit pas aussi répandu que l’arbitrage en vertu de traités d’investissement, 10 % des plaintes traitées par le CIRDI sont introduites sur la base d’un contrat. Toutefois, compte tenu de l’opposition à laquelle l’arbitrage en vertu de traités d’investissement a été confronté au cours de la dernière décennie, l’arbitrage fondé sur un contrat pourrait devenir une tactique plus courante pour les investisseurs étrangers lorsqu’ils ne sont pas protégés par un traité.

L’arbitrage dans le cadre du droit des investissements

Au niveau mondial, 74 pays ont des lois nationales sur l’investissement qui mentionnent l’arbitrage entre investisseurs et États, et 42 de ces lois sont susceptibles de prévoir un consentement.3 Les lois sur l’investissement ont été invoquées dans 6 % des affaires administrées par le CIRDI. Une petite unité de la Banque mondiale, le Service consultatif pour les investissements étrangers, qui conseille les pays sur les flux d’investissements privés, a joué un rôle important dans l’inclusion de l’ISDS dans les lois nationales sur l’investissement. Une étude récente a montré que près de la moitié (30 sur 65) des pays conseillés par l’unité ont par la suite adopté de nouvelles lois autorisant l’arbitrage.

En quoi sont-ils liés ?

Les règles d’arbitrage en matière d’investissement, quel que soit l’instrument juridique utilisé, visent à promouvoir un modèle de développement économique fondé sur la libéralisation et la promotion des investissements étrangers. Elles favorisent la primauté des règles internationales d’investissement favorables aux entreprises sur le droit national et souverain. En outre, les sentences arbitrales et les frais de justice peuvent être très élevés et considérables pour les pays endettés du Sud. Cet argent pourrait être utilisé pour des politiques sociales et publiques. Par exemple, le Nigeria a été condamné à payer 11 milliards de dollars à la société d’énergie P&ID, basée dans les îles Vierges britanniques, dans le cadre d’un contrat. [1] Dans une affaire relevant du TBI Pays-Bas-Pologne, la société néerlandaise Eureko a reçu 4,4 milliards de dollars en compensation de la décision de la Pologne de maintenir le contrôle étatique sur son organisme d’assurance public. Au Salvador, Pacific Rim Mining Corp, une société canadienne qui souhaitait construire une immense mine d’or au Salvador en utilisant un traitement du minerai à base de cyanure à forte consommation d’eau, a affirmé que le gouvernement avait violé sa loi nationale sur les investissements en ne délivrant pas de permis pour la mine. Le CIRDI a finalement rejeté la demande de l’entreprise et l’a condamnée à payer 8 millions de dollars sur les 12 millions de dollars que le pays a dépensés en frais de justice. Mais l’entreprise a refusé de payer et l’État d’Amérique centrale n’a cessé de réclamer l’argent depuis lors. L’ISDS soulève de graves problèmes démocratiques. Il s’agit de la poursuite d’un modèle colonial de promotion des intérêts du capital transnational, au détriment de l’intérêt général. Il faut donc y mettre fin.


Notes:

[1La décision a ensuite été annulée après qu’un tribunal britannique a découvert que la société avait versé des pots-de-vin à un fonctionnaire nigérian dans le cadre du contrat gazier. (https://www.iisd.org/itn/en/2021/03/23/corruption-and-confidentiality-in-contract-based-isds-the-case-of-pid-v-nigeria-jonathan-bonnitcha/, https://www.reuters.com/business/energy/nigeria-wins-bid-overturn-11-billion-bill-collapsed-gas-deal-2023-10-23/)

source: bilaterals.org