par bilaterals.org | 19 avril 2024
Entre souveraineté et intérêts des multinationales : quels sont les enjeux du référendum équatorien ?
Le 21 avril 2024, le gouvernement de Daniel Noboa organisera un référendum en Équateur, qui vise à modifier la Constitution nationale et à aborder des questions fondamentales, telles que la sécurité et l’investissement. Parmi les 11 questions qui font partie du référendum, la question D, en particulier, cherche à réactiver le dangereux mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (connu sous l’acronyme anglais, ISDS).
Depuis que l’ancien président Rafael Correa a révoqué, en 2017 les traités d’investissement qui incluaient l’ISDS, le débat sur cette question revient constamment dans l’arène politique équatorienne. Pour mieux comprendre les implications et explorer les raisons derrière l’appel des mouvements sociaux à rejeter la question D au référendum, nous avons interviewé Cecilia Cherrez, membre d’Acción Ecológica et de la campagne pour un NON à la question sur l’arbitrage international au référendum.
Dans le cadre du référendum du 21 avril, une question vise à modifier l’article 422 de la Constitution. De quoi s’agit-il ?
L’article 422 de la Constitution de l’Équateur empêche la cession de la compétence souveraine à l’arbitrage international, dans les litiges contractuels ou commerciaux, entre l’État et les personnes physiques ou morales privées. Par conséquent, les traités ou instruments internationaux qui impliquent une telle cession ne peuvent être conclus, comme c’est le cas des traités bilatéraux de protection des investissements, dont le pilier central est lié à l’octroi de garanties juridiques excessives aux sociétés transnationales, qui, lorsqu’elles sont appliquées, entraînent la soumission des droits humains, collectifs et ceux de la nature , aux règles d’un tel arbitrage international [1] .
Cet article a été inspiré par la lutte sociale du début des années 2000 contre la compagnie pétrolière Occidental (Oxy), qui avait déposé une demande d’arbitrage de plusieurs millions de dollars contre l’Équateur, en réponse à la décision de l’État de résilier son contrat – Oxy ayant négocié la cession d’une partie du bloc concédé à une autre compagnie transnationale, sans l’autorisation de l’État équatorien.
Cet article constitue un bouclier essentiel contre les prétentions juridiques des grandes entreprises qui cherchent à maintenir l’impunité pour les crimes commis contre les communautés, les peuples et les différentes nations vivant dans les zones où les projets pétroliers et miniers sont imposés. Face à la résistance des mouvements sociaux, des poursuites judiciaires ont été engagées devant des tribunaux d’arbitrage internationaux, ou menacées de l’être, si les gouvernements ne "contrôlent" pas les protestations des populations. Des personnes défendant les territoires, l’eau, l’agriculture paysanne et l’autonomie des communautés, ont ainsi été réprimées et traitées comme des criminelles
L’Équateur est actuellement le cinquième pays le plus poursuivi dans le cadre de l’arbitrage international en Amérique latine et dans les Caraïbes. Il a fait l’objet de 29 actions en justice, dont 21 ont déjà été résolues par des tribunaux arbitraux ; 14 sentences ont été rendues en faveur des entreprises et 7 seulement en faveur de l’État.
Comment s’est déroulé le processus de sortie et de retour de l’Équateur au Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (CIRDI) ?
L’inclusion de l’article 422 dans la Constitution, en vigueur depuis 2008, a rendu incompatible l’adhésion du pays aux tribunaux d’arbitrage internationaux, en particulier au CIRDI, où un nombre important de sociétés transnationales ont déposé des plaintes contre l’Équateur. Selon le Transnational Institute, 11 des 29 actions en justice intentées contre l’Équateur l’ont été devant ce tribunal. C’est pour cette raison qu’en 2009, le gouvernement de l’époque s’est retiré du CIRDI.
Douze ans plus tard, dans le cadre d’une politique agressive visant à radicaliser les mesures néolibérales par la signature de nouveaux accords de libre-échange et de traités bilatéraux d’investissement, ainsi qu’à positionner l’Équateur comme une nation prête à se conformer aux normes les plus élevées pour les investissements internationaux, le pays a de nouveau ratifié la Convention CIRDI, qui est entrée en vigueur en septembre 2021, sans l’approbation de l’Assemblée nationale.
Quels sont les risques liés à la modification de cet article de la Constitution ?
La possibilité de modifier l’article 422 est depuis longtemps une aspiration des grandes entreprises à pouvoir agir avec une plus grande impunité en ce qui concerne les crimes qu’elles commettent à l’encontre des communautés, des territoires et de la nature.
En 2018, le ministre du Commerce extérieur de l’époque a demandé à l’Assemblée nationale d’interpréter l’article, alors que les négociations en vue d’un accord de libre-échange avec les États-Unis avançaient. La demande du ministre a incité le président de l’Assemblée nationale à soumettre un mémoire d’amicus curiae à la Cour constitutionnelle en faveur d’une telle interprétation de l’article. Actuellement, ces aspirations sont canalisées par la question D du référendum promu par le gouvernement, qui se tiendra le 21 avril.
Un éventuel vote en faveur de cette question donnera lieu à des paiements exorbitants demandés à l’Équateur pour des arbitrages internationaux déjà réglés. L’un d’entre eux est celui de Chevron (anciennement Texaco), qui a gagné un procès contre l’État équatorien devant un tribunal arbitral de La Haye. Chevron, responsable de la dévastation environnementale et sociale du nord de l’Amazonie équatorienne, est passée du statut d’entreprise accusée d’avoir causé de graves dommages à l’environnement et obligée de verser des réparations complètes, à celui d’entreprise se défendant contre l’atteinte à son image de marque. En réalité, Chevron devrait recevoir 2 milliards de dollars cette année, s’il n’y a pas d’obstacle [2] . Ce montant est inclus dans le budget 2024 et équivaut à l’ensemble du budget du secteur de la santé. Il n’y a aucune garantie que ce paiement n’affectera pas les obligations en matière de santé, d’éducation, de contrôle environnemental et autres.
Mais le pillage des ressources publiques n’est pas le seul enjeu. C’est aussi une question de souveraineté nationale, de prévalence de la Constitution, de respect des processus judiciaires nationaux qui se sont prononcés en faveur des droits humains et de la nature, de garantie de la protection des droits fondamentaux, de respect de la réparation intégrale pour les peuples et les territoires, d’arrêt de la corruption entre les grandes entreprises et les fonctionnaires.
Quels sont les défis à relever par les organisations à l’approche du référendum du 21 avril ?
Les mouvements sociaux qui s’articulent face au risque d’une éventuelle réforme de l’article 422, sont mobilisés dans une campagne d’alerte de la population équatorienne, et de promotion du vote NON à la question D, avec un temps et des ressources limitées. Cependant, nous avons pu contribuer au renforcement d’un puissant réseau d’organisations quia pu s’exprimer dans de nombreux médias alternatifs et communautaires au niveau national. Ce réseau vise aussi à prendre part à une plus grande coordination avec d’autres secteurs qui construisent, à partir de leurs espaces respectifs, des propositions alternatives au développement et à la mondialisation soumise aux intérêts des multinationales.
Footnotes:
[1] La Constitution equatorienne de 2008 intègre les droits de la Nature (https://notreaffaireatous.org/constitution-equateur-%F0%9F%97%BA/).
[2] La Constitution equatorienne de 2008 intègre les droits de la Nature (https://notreaffaireatous.org/constitution-equateur-%F0%9F%97%BA/).