Le Kenya obtient gain de cause dans un arbitrage portant sur le secteur géothermique lancé par WalAm Energy : le tribunal CIRDI rejette toutes les allégations du demandeur

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IISD | 23 mars 2021

Le Kenya obtient gain de cause dans un arbitrage portant sur le secteur géothermique lancé par WalAm Energy : le tribunal CIRDI rejette toutes les allégations du demandeur

par Maria Bisila Torao

WalAm Energy LLC c. la République du Kenya, Affaire CIRDI n° ARB/15/7

Dans une décision du 10 juillet 2020, un tribunal CIRDI rejetait les recours lancés par WalAm Energy LCC (WalAm), une entreprise enregistrée aux États-Unis et dont le siège se trouve au Canada, portant sur un projet géothermique dans la République du Kenya après que le pays ait annulé la licence de WalAm pour l’exploration et le développement de la concession géothermique de Suswa. Selon le tribunal, le Kenya a valablement annulé la licence de WalAm en déclarant que l’entreprise en était déchue du fait qu’elle n’avait réalisé aucun travaux physique pendant une période continue de six mois.

Le contexte et les recours

Dans un courrier du 20 juillet 2017 adressé au ministre de l’Énergie, WalAm avait présenté une demande d’autorisation d’explorer. Le 5 septembre 2007, WalAm obtint une licence du ministère kényan de l’Énergie, lui accordant des droits exclusifs pour « entrer, explorer, forer et extraire, produire, utiliser et éliminer la vapeur géothermique et les ressources géothermiques connexes ». En parallèle, dans un courrier daté du 3 septembre 2007, mais signé par le ministre à la même date que la licence, WalAm obtenait le droit d’explorer les ressources géothermique au titre de la section 6(1) de la Loi sur les ressources géothermiques (la LRG).

En février 2009, WalAm informait le ministre par courrier qu’elle avait terminé l’exploration de la concession géothermique de Suswa, ainsi que sa prospection et les analyses de préfaisabilité, et proposait de commencer le forage, au titre des droits conférés par sa licence géothermique. À l’époque, WalAm demandait également au gouvernement de discuter de la possibilité de conclure un accord d’achat d’énergie (AAE) compte tenu des ressources financières limitées de WalAm. En mars de la même année, les représentants du gouvernement et ceux de WalAm se rencontrèrent. Mais si le Kenya prit part aux discussions préliminaires, l’AAE n’a jamais été conclu.

En mars 2009, GeothermEx rendit son rapport de faisabilité. Toutefois, WalAm ne présenta son programme de travail au gouvernement qu’en février 2011. En mars de cette année-là, le gouvernement approuva le programme de travail en échange de l’engagement de l’entreprise à strictement respecter le calendrier. Mais à la fin de l’année 2011, le projet de WalAm n’avait pas progressé et respecté le calendrier du programme pour cette année-là.

Le 18 mars 2012, le gouvernement écrivit une lettre de demande de justification soulignant que WalAm violait la licence puisqu’elle n’avait pas réalisé suffisamment de travaux à Suswa au cours des cinq années précédentes. Le gouvernement affirmait également que « Dans la pratique courante, il faut compter cinq ans entre l’exploration des ressources géothermique et la construction de telles centrales » (para. 284). Le 30 octobre 2012, le ministre de l’Énergie émit un lettre de déchéance révoquant la licence de WalAm. En réponse, WalAm déposa une demande d’arbitrage contre le Kenya au titre de la disposition relative au règlement des différends de la licence, arguant en faveur d’une violation du droit international coutumier compte tenu de la déclaration abusive de la déchéance de la licence, réclamant des millions de dollars à titre d’indemnisation ainsi que le rétablissement de la licence.

Le droit national est le droit applicable. Le droit international coutumier peut s’appliquer au moyen du droit national

Puisque la licence ne comportait pas de disposition sur le droit applicable, WalAm affirmait qu’en consentant à l’arbitrage des différends « au titre » de la Convention du CIRDI, le Kenya acceptait d’arbitrer les différends découlant du droit kényan et des règles du droit international puisque la compétence du tribunal se fonde sur l’article 42(1) de la Convention du CIRDI et sur le droit kényan, qui incorpore le droit international coutumier. Cet article prévoit qu’en l’absence d’accord entre les parties quant au droit applicable, les différends devraient être évalués au titre du « droit de l’État contractant partie au différend ainsi que [des] principes de droit international en la matière » (article 42(1) de la Convention du CIRDI). Le demandeur arguait en outre que le droit kényan et le droit international coutumier étaient applicables puisque le Kenya avait incorporé expressément le droit international dans sa constitution. Toutefois, le Kenya arguait que seul le droit national était applicable puisque c’était le droit au titre duquel la licence avait été émise.

Le tribunal approuva l’argument du défendeur et considéra qu’au titre de l’article 42(1) de la Convention, le droit kényan était le droit applicable puisqu’il s’agit du droit de l’État partie au différend et du droit qui sous-tend la légalité de la licence. Par ailleurs, l’existence et la validité de la licence découlent du droit national puisque c’est le gouvernement qui l’a émise. Le tribunal ajouta également que le droit international coutumier ne pouvait être pertinent que pour l’examen de questions spécifiques au moyen du droit local puisque « le droit international coutumier est incorporé dans le droit kényan […], mais cela ne modifie pas le droit applicable » à une question spécifique. Le droit international coutumier ne peut s’appliquer qu’aux règles accessoires ou générales incorporées dans le droit national kényan (para. 348).

Le tribunal rejette les allégations du Kenya quant à la validité de la licence

Le Kenya arguait qu’au titre du droit national, WalAm n’avait jamais demandé de licence car sa lettre datée du 20 juillet 2007 était une demande d’autorisation d’explorer uniquement. Par conséquent, une licence valable n’a jamais été émise puisque le ministre de l’Énergie n’a jamais reçu de demande de licence. La licence était donc nulle dès le début, puisque les prescriptions de la LRG n’étaient pas qu’une « simple formalité » comme l’affirmait WalAm (para. 361). Le tribunal rejeta les arguments du Kenya puisque le ministère avait accordé ces deux types de licences bien que WalAm n’ait présenté qu’une demande d’autorisation. Le Kenya envisageait certainement d’accorder l’autorisation d’explorer et la licence. Le tribunal souligna en outre que malgré le manque de clarté quant aux circonstances dans lesquelles la licence avait été émise par le ministre compte tenu que le demandeur n’avait demandé qu’une autorisation d’explorer, WalAm souhaitait obtenir l’autorisation d’explorer et une licence. De même, le ministre avait l’intention d’accorder les deux, et l’a fait, considérant que WalAm respectait pleinement la LRG (para. 364).

La déclaration de déchéance est légitime : le tribunal rejette tous les recours présentés par le demandeur

WalAm contestait la validité de la déclaration de déchéance pour diverses raisons (ultra vires ; enrichissement injuste ; bonne foi ; caractère déraisonnable ; proportionnalité ; but illégitime ; considérations pertinentes et non pertinentes ; équité procédurale ; consentement ; estoppel ; et faute personnelle). Le tribunal les rejeta toutes.

Le gouvernement a agi dans la limite de ses pouvoirs juridiques

WalAm argua d’abord que le gouvernement avait outrepassé ses pouvoirs juridiques (c.-à-d. ultra vires) à l’heure de déclarer la déchéance de la licence au motif que WalAm n’avait pas construit la centrale en l’espace de cinq ans. Le tribunal considéra toutefois que, contrairement à ce que WalAm avançait, la notification de la déchéance ne pouvait être interprétée qu’au regard de la licence et de la LRG. Il conclut donc que le ministre de l’Énergie avait le droit de s’appuyer sur la section 11(1) de la LRG et sur la licence si aucune activité d’exploration n’était menée pendant une période continue de six mois, et le faisait expressément dans la notification de la déchéance (para. 412 à 428).

Le manquement à réaliser des activités physiques déclenche le droit à déchoir

WalAm avançait également que le ministre n’avait pas de cause factuelle pour s’appuyer sur la section 11(1)(a) car les activités réalisées par WalAm avant la notification de la déchéance pouvaient être interprétées comme des travaux, si l’on considère que les travaux recouvrent toutes les activités relatives à la licence. Pour déterminer si le demandeur avait réalisé de quelconques travaux, le tribunal se pencha sur l’interprétation et le sens des termes « sur ou sous le terrain » de la LRG, section 11(1)(a), et « sur ou sous la zone sous licence » de la licence, disposition 7(1)(a). Le tribunal accepta l’interprétation du défendeur selon laquelle les deux expressions exigeaient la réalisation d’activités physiques (para. 438 à 440). Il expliqua en outre que cette interprétation « considère la disposition sur la déchéance dans le contexte » et n’est donc pas étroite et littérale comme le suggérait WalAm, mais « conforme à l’objet et au but de la licence » et aux droits qu’elle confère (para. 411).

La révocation de la licence était de bonne foi, raisonnable et proportionnelle

WalAm arguait en outre que la révocation de la licence n’était pas de bonne foi puisque l’objectif ultime du gouvernement était de transférer les droits de la licence à une entité publique. Le demandeur arguait en outre que la déchéance était disproportionnée et déraisonnable à la lumière du droit national. Le tribunal rejeta ces arguments au motif que WalAm n’avait pas strictement respecté le calendrier. Par ailleurs, compte tenu de l’incapacité passée de WalAm à respecter ses obligations depuis l’approbation du programme de travail le 7 septembre 2007, et d’acquérir les ressources financières pour ce faire, la révocation de la licence était valable, et donc raisonnable et proportionnelle.

Pas de manquement à tenir compte des considérations pertinentes, ou lié à la prise en compte de considérations non pertinentes

WalAm arguait par ailleurs que le gouvernement n’avait pas pris en compte des « considérations pertinentes » à l’heure de décider de déclarer la déchéance de la licence. Le droit kényan établit clairement que l’exercice du pouvoir public discrétionnaire peut être jugé comme abusif si des « considérations non pertinentes » sont prises en compte ou des « considérations pertinentes » sont ignorées. Le tribunal rejeta cet argument, indiquant que comme indiqué précédemment dans son analyse, la déchéance avait été déclarée au motif qu’« aucun effort apparent d’exploration et d’exploitation des ressources géothermiques » n’avait été réalisé, et qu’il ne s’agissait pas là d’une considération non pertinente (para. 471). De même, le tribunal conclut également que le Kenya n’avait pas omis de prendre en compte toutes les « considérations pertinentes ». Le demandeur croyait que ses obligations au titre de la licence étaient suspendues compte tenu des attentes découlant de ses déclarations répétées quant à la nécessité de conclure un AAE pour lever les fonds nécessaires aux infrastructures et à l’avancement du projet.

Le tribunal considéra que cette déclaration n’était pas légitime puisque le ministre de l’Énergie avait expressément rejeté la possibilité d’un AAE à plusieurs occasions. D’abord, il avait explicitement supprimé la référence de WalAm à un AAE de sa demande lorsqu’il avait émis la licence d’exploration. Ensuite, lorsqu’ils ont approuvé le programme de travail en 2011, les représentants gouvernementaux n’ont pas adopté le calendrier suggéré par WalAm pour un AAE. Le tribunal considéra donc que l’incapacité du demandeur à lever suffisamment de fonds découlait de ses propres déficiences et inaptitude (para. 493).

Le consentement et l’estoppel : la conduite du Kenya n’aurait pu sous-tendre un estoppel ou une exemption comme le prétend le demandeur

WalAm arguait également que le Kenya avait consenti par écrit au fait que le demandeur ne réalise pas de travaux sur et sous le terrain jusqu’à la conclusion d’un AAE ou tant que les négociations pour un AAE seraient en cours, et que le Kenya ne devrait pas être autorisé à s’appuyer sur la non-réalisation des travaux et à prononcer la déchéance. Le tribunal rejeta cet argument car WalAm n’avait pas démontré que le gouvernement avait expressément indiqué dans ses communications ou lettres qu’il consentait au fait que l’investisseur ne réalise pas de travaux « sur et sous le terrain » jusqu’à la conclusion d’un AAE. Aucune déclaration de consentement ou représentation expresse ne justifiait l’estoppel en ce sens. En outre, le gouvernement avait informé WalAm de l’insatisfaction du ministre quant à l’absence de progrès et de travaux à de nombreuses reprises. Les communications indiquaient clairement que la licence était menacée de déchéance.

Pas d’attentes légitimes puisque le demandeur ne présente aucune preuve

Le tribunal considéra que le demandeur ne pouvait prétendre avoir des attentes légitimes qu’il ne serait pas tenu de commencer le forage avant la mise en place d’un AAE en raison de la conduite du gouvernement. Il conclut donc que WalAm « n’avait pas d’attentes légitimes au sens du droit public » puisqu’elle ne démontrait pas que « des déclarations suscitant une telle attente raisonnable avaient été faites par ou au nom du gouvernement » (para. 527).

Application du droit international coutumier : pas de violation de la norme minimale de traitement

WalAm invoquait des violations de la norme minimale de traitement du droit international coutumier, arguant que le Kenya avait violé son obligation d’accorder la norme minimale au demandeur au titre de l’article 47 de la constitution kényane et du droit international coutumier. Selon elle, la conduite obstructive du gouvernement et son refus de mauvaise foi de négocier un AAE empêchait WalAm d’avancer et de mettre le projet en production.

Le tribunal remarqua qu’il avait précédemment examiné tous les éléments avancés par WalAm et capables de constituer un traitement injuste, en violation de la norme du droit international, dans son analyse et les avait rejetés. Il ajouta que l’expropriation ne s’appliquait pas, et que tout recours fondé sur ce point aurait échoué. Il conclut également que même si l’absence d’objection ou le silence du gouvernement peuvent parfois générer des attentes légitimes (voir Gold reserve c. Venezuela), en l’espèce, ils ne pouvaient donner lieu à aucune attente légitime en lien avec la conclusion d’un AAE, ou l’incapacité à le conclure, dans le contexte du traité d’investissement (para. 558 à 561).

Les coûts

Le défendeur arguait que WalAm devait payer l’intégralité des coûts de la procédure. Il ajouta en outre que même si le demandeur avait eu gain de cause sur la responsabilité, les coûts devaient être répartis de manière à refléter les coûts inutiles générés par la conduite du demandeur. Quant à lui, le demandeur arguait que le défendeur devait payer la totalité des coûts de l’arbitrage à la charge du demandeur.

Le tribunal indiqua que la Convention du CIRDI « donne la plus grande discrétion pour la répartition des coûts de l’arbitrage » et remarqua que les frais juridiques du défendeur étaient significativement inférieurs à ceux du demandeur.

Le tribunal ordonna à WalAm de verser 648 857,75 USD au défendeur au titre de sa part des coûts de la procédure, ainsi que les montants de 3 586 039,28 EUR et 252 262,82 USD au titre de ses frais et dépenses juridiques.

Remarques : le tribunal était composé de Joe Smouha (président, nommé par les parties, Britannique), de Swithin J. Munyantwali (nommé par le demandeur, Britannico-ougandais) et de James Spigelman (nommé par le défendeur, Australien). La décision du 10 juillet 2020 est disponible sur https://www.iareporter.com/articles/revealed-award-in-dispute-over-kenyan-geothermal-energy-project-comes-to-light/

Maria Bisila Torao est une avocate internationale basée à Londres. Elle détient un master en droit, arbitrage international au titre des traités, de l’Université d’Uppsala, un master en droit, arbitrage commercial international, de l’Université de Stockholm, et une licence en droit de l’Université de Malaga.

source: IISD