Pourquoi est-ce une bonne nouvelle que la France se retire du Traité sur la charte de l’énergie ?

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Photo: Jean-Marc Pascolo via Wikimedia Commons / CC BY-SA 3.0

Basta! | 29 décembre 2022

Pourquoi est-ce une bonne nouvelle que la France se retire du Traité sur la charte de l’énergie ?

par Maxime Combes

La France vient de se retirer du Traité sur la charte de l’énergie qui entravait toute politique ambitieuse en matière de préservation du climat. « Une brèche est ouverte », estime l’économiste Maxime Combes.

Voilà une mobilisation citoyenne sur le point d’atteindre les objectifs qu’elle s’était fixée. C’est suffisamment rare, en ces temps de guerre et d’urgences écologiques et sociales, pour se réjouir du chemin parcouru : en juin 2018, lors de la publication de la première analyse systématique des effets nocifs du Traité sur la charte de l’énergie (TCE) par des ONG, rares étaient celles et ceux qui, en plus d’être informés de l’existence d’un tel traité, auraient pu garantir que la France et plusieurs autres pays de l’Union européenne – et espérons l’UE dans son ensemble dans les prochains mois – allaient en sortir à peine quatre ans plus tard.

C’est désormais le cas : la France vient officiellement de notifier son retrait du TCE, concrétisant l’annonce d’Emmanuel Macron du 21 octobre dernier. Ce retrait sera pleinement effectif au 1er janvier 2024. La France rejoint ainsi l’Italie, sortie du TCE dès 2016, tandis que l’Espagne, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Slovénie, la Pologne et le Luxembourg ont également annoncé vouloir en faire autant, soit huit États de l’UE représentant plus de 70 % de la population européenne.

Un vestige du siècle passé

Entré en vigueur en 1998, le TCE est un vestige du siècle passé [1]. D’un temps où l’Union soviétique venait à peine de s’effondrer, générant de nombreuses incertitudes sur la stabilité des systèmes juridiques et sur les approvisionnements en pétrole et en gaz des pays de l’UE en provenance de l’ex-bloc soviétique.

Historiquement conçu pour protéger les investisseurs européens face à ces incertitudes, le TCE est longtemps resté dans l’oubli. Jusqu’à ce qu’il soit utilisé par les entreprises du secteur de l’énergie contre les États ayant décidé de modifier leurs politiques énergétiques : contre les Pays-Bas pour la décision de fermeture des centrales au charbon, contre l’Italie pour l’interdiction de forages pétroliers, contre la Slovénie pour les restrictions sur l’utilisation des techniques d’exploitation les plus néfastes, ou encore contre l’Espagne et la France pour leurs décisions de modifier leurs mesures de soutien aux énergies renouvelables.

La pierre angulaire du TCE consiste en effet à donner accès aux entreprises de l’énergie à un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États (ISDS en anglais) : quand elles jugent qu’une décision des pouvoirs publics va à l’encontre de leurs intérêts, plutôt que se limiter aux recours classiques et possibles devant les tribunaux publics existants, elles peuvent faire valoir leurs droits devant une justice parallèle, obscure et qui leur est généralement favorable.

Une arme de dissuasion contre les politiques de sobriété

Avec un certain succès : en France, la loi Hulot visant à mettre fin à l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures a été édulcorée après des menaces de poursuites portées par l’entreprise canadienne Vermilion au titre du TCE. À la suite de la conférence des Nations unies sur le climat (Cop26) à Glasgow en 2021, les gouvernements du Danemark et de Nouvelle-Zélande ont même publiquement reconnu qu’ils avaient revu à la baisse leurs ambitions climatiques pour ne pas être poursuivis dans le cadre de dispositifs ISDS existants.

Alors qu’on manque de politiques ambitieuses de sobriété et d’efficacité énergétiques, ou même de développement des énergies renouvelables, les entreprises du secteur de l’énergie dispose donc d’une arme puissante qui leur permet de dissuader les pouvoirs publics de prendre des décisions contraires à leurs intérêts et de retarder, renchérir ou bloquer les politiques de transition énergétique. C’est comme s’il existait un garde du corps juridique qui leur permet de pérenniser des infrastructures désormais insoutenables du point de vue climatique.

L’effet domino de la mobilisation citoyenne

Découvrir l’existence du TCE et de son mécanisme ISDS a fait tomber de sa chaise bien plus d’un climatologue : comment en effet accepter l’existence d’un traité qui puisse réduire à néant les efforts consentis depuis des années pour convaincre de l’urgence d’arrêter d’investir dans l’exploration et l’exploitation de nouveaux gisements fossiles et du besoin de fermer certaines infrastructures existantes ? Faire connaître le TCE, c’est s’assurer que (presque plus) personne de sensé ne puisse en défendre l’existence. Du moins, publiquement.

Un subtil jeu de dominos s’est alors enclenché : aux innombrables alertes d’ONG et d’experts, ont succédé des appels publics visant à ce que l’UE et ses États-membres se retirent du TCE, puis une pétition européenne en ce sens signée par plus d’un million de personnes.

Une mobilisation citoyenne classique à laquelle se sont ajoutées des prises de position toujours plus nombreuses de climatologues, chercheurs, et institutions diverses. Ainsi, dans son dernier rapport, le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (Giec) cite le TCE comme exemple de ces « accords bilatéraux et multilatéraux » qui pourraient être utilisés « par les entreprises de combustibles fossiles pour bloquer les législations nationales visant à mettre fin à l’utilisation de leurs actifs ».

Même grief dans une publication récente du Fonds monétaire international pour qui ces accords« juridiquement contraignants », et tout particulièrement le TCE, « protègent les investissements dans les combustibles fossiles » et « exposent les autorités à des poursuites judiciaires pour violation de cette protection lorsqu’elles cherchent à adopter des mesures réglementaires pour réduire l’activité liée aux combustibles fossiles ». En France, le Haut Conseil sur le climat a ainsi considéré que « le TCE n’est pas compatible avec le rythme de décarbonation du secteur de l’énergie et l’intensité des efforts de réduction d’émissions nécessaires pour le secteur à l’horizon 2030 ».

La version « modernisée » du traité ne réglait rien

Face à ces critiques acerbes, l’UE avait consenti à accepter un processus de modernisation du TCE. Après plusieurs années de négociations, une version dite « modernisée » du traité a été soumise en juin 2022 à la délibération des États-membres du TCE. Farouchement défendu par la Commission européenne, ce projet était loin de régler tous les problèmes soulevés : il prévoyait même de prolonger la protection des investissements dans les énergies fossiles sur une trop longue période, ainsi que d’étendre la protection des investisseurs à de nouveaux investissements dans l’énergie (captage et stockage du carbone, biomasse, hydrogène, combustibles synthétiques, etc.), et donc, les risques de litiges.

Six mois plus tard, la proposition de la Commission européenne qui consistait à ce que l’UE reste membre du TCE pour les décennies à venir n’a de majorité ni au Conseil de l’UE, ni au Parlement européen. L’Allemagne, la France, l’Espagne et les Pays-Bas et l’Allemagne ont refusé de donner à l’exécutif communautaire le pouvoir d’entériner ce traité modernisé. Mieux, le Parlement européen a majoritairement voté en faveur d’un retrait conjoint et coordonné de l’ensemble de l’UE, écartant de fait toute possibilité de voir ce traité dit « modernisé » entrer en vigueur.

Si plusieurs États-membres du TCE (Mongolie, Kazakhstan, Japon, Suisse, Royaume-Uni) ont visiblement été agacés par ce revirement de l’UE, la Commission n’a pas bien d’autres options sérieuses sur la table que d’organiser un retrait coordonné et conjoint de l’UE dans son ensemble de ce traité des plus nocifs. C’est d’ailleurs la recommandation principale du Haut Conseil pour le climat et, dans une récente interview au Monde, Frans Timmermans, premier vice-président de la Commission européenne en charge du Green New Deal, a reconnu qu’il trouvait « chaque jour plus difficile de justifier la participation des Européens à ce traité ».

Une brèche pour des politiques climatiques plus ambitieuses

Pour accélérer le processus, une vingtaine d’organisations de la société civile française viennent d’écrire à Emmanuel Macron et son gouvernement afin qu’ils œuvrent diplomatiquement en faveur d’un tel retrait collectif et poussent la Commission à franchir le pas : « Retirer la France du TCE c’est bien, en sortir conjointement et de façon coordonnée à l’échelle de l’UE, c’est mieux ». Dès le premier trimestre 2023 ?

Quoi qu’il en soit, c’est à notre connaissance l’une des toutes premières fois que des règles ou institutions nées avec la mondialisation sont officiellement reconnues comme antinomiques avec la lutte contre le réchauffement climatique. S’il reste donc de nombreuses autres règles et institutions de ce genre en vigueur, une brèche a été ouverte. Celles et ceux qui aspirent à voir des politiques climatiques plus ambitieuses devraient s’y engouffrer : il est temps de rénover les institutions et les règles qui organisent la mondialisation.

Fuente: Basta!