L’Economiste | 20 novembre 2015
Samir: Al-Amoudi s’accroche à l’arbitrage
La crise de la Samir s’enlise. Visiblement, la perspective de la reprise d’activité chez le seul raffineur marocain est remise aux calendes grecques. L’actionnaire majoritaire, Mohamed Hussein Al-Amoudi, refuse, non seulement d’honorer ses engagements mais exige l’abandon d’une partie de ses dettes et le rééchelonnement du reste. Il a introduit un recours auprès du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements de la Banque mondiale (Cirdi). «Un stratagème qui permettrait au milliardaire saoudien de suspendre toutes les procédures du recouvrement», décrypte un arbitre international. Son argumentaire s’appuie sur le fait que «l’Etat marocain a changé les règles du marché». L’allusion est faite à l’ouverture des importations accordée aux distributeurs de produits pétroliers. Pourtant, le raffineur avait bénéficié après la privatisation d’un délai de grâce de 4 années, prorogé de 2 ans. Toujours est-il que la libéralisation du secteur pétrolier figurait bien évidemment dans l’agenda du gouvernement. D’où la réaction, bien que tardive, du ministre de l’Energie, Abdelkader Amara qui «considère qu’il s’agit d’une fuite en avant».
Dans les milieux d’affaires, la réaction la plus énergique est venue du groupe Holmarcom, actionnaire à raison de 5,8% dans Samir. Quitte à mettre la pression sur les autorités marocaines, son PDG, Mohamed Hassan Bensalah a claqué la porte du Conseil d’administration, mardi 17 novembre. «Cette décision est d’autant plus difficile que j’ai toujours œuvré pour la préservation de ce fleuron national dans lequel le Groupe Holmarcom a beaucoup investi», souligne-t-il dans un communiqué. Une manière de marquer «son désaccord avec l’actionnaire majoritaire qui a manqué aux engagements publiquement annoncés pour la recapitalisation de la raffinerie, et notamment lors de l’assemblée générale extraordinaire du 16 octobre 2015».
Alors qu’un début de sortie de crise se profilait avec cette assemblée générale extraordinaire, tenue le 16 octobre dernier, le sort de la raffinerie marocaine est à nouveau incertain.
Lors de cette rencontre, les actionnaires de Samir (détenu à 67% par le holding saoudien Corral) avaient approuvé une augmentation de capital de 10 milliards de dirhams afin de répondre aux difficultés financières de l’entreprise. L’engagement, par écrit du patron de Corral, de décaisser sa participation au plan de recapitalisation, environ 6,7 milliards de dirhams, dans un délai de 30 jours n’a tout simplement pas été respecté. (Cf. L’Economiste du 18 novembre 2015).
Pour l’heure, la Samir traîne une dette bancaire et obligataire qui dépasse les 10 milliards de DH et autant au titre des fournisseurs. S’ajoutent également les impayés à l’administration des douanes estimés à 13 milliards. Et au total, l’ardoise est estimée à 40 milliards de DH.
Pour certains observateurs, la «volte-face» de Cheikh Al-Amoudi ne constitue pas vraiment une surprise: trois jours avant l’expiration du délai fixé pour l’augmentation de capital, des sources au sein de Corral laissaient entendre que le groupe saoudien n’envisageait pas de renflouer le capital de sa filiale marocaine. Dans une déclaration au quotidien Achark Al Awsat, un de ses responsables expliquait sous couvert d’anonymat s’attendre à « se retrouver à la table des négociations avec les autorités marocaines qui doivent consentir des efforts».
Côté professionnel, l’option serait que Corral passe le relais à d’autres investisseurs capables de renflouer la raffinerie. Or, «si transaction il y a, elle se fera probablement au dirham symbolique vu l’état désastreux des finances de l’entreprise. Ce sera donc soit une nationalisation soit une reprise par un ou plusieurs investisseurs privés, qui ont les moyens de porter ce lourd fardeau», explique un distributeur de produits pétroliers. Mais d’ores et déjà, le Syndicat national des industries du pétrole et du gaz «appelle à la reprise par l’Etat de la raffinerie», selon un communiqué parvenu jeudi à L’Economiste.
L’arbitrage du Cirdi
Le mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États est un instrument présent dans de nombreux traités de libre-échange. Il a pour objectif d’accorder plus de pouvoir aux entreprises face aux États, en leur permettant d’attaquer une puissance publique devant un tribunal arbitral international. C’est justement le rôle du Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements (Cirdi). Un organe relevant de la Banque mondiale, basé à Washington. Généralement, l’arbitrage est assuré par trois membres. L’un des arbitres est désigné par l’entreprise, le second par l’Etat et le troisième par le secrétariat général de la cour.